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Christophe Hondelatte Voici l'histoire de Robert Hébras, 94 ans, le dernier des survivants du massacre d'Oradour sur Glane, en Haute-Vienne, le 10 juin 1944. Il avait 19 ans ce jour là. Il a perdu sa mère, deux de ses soeurs et 642 habitants de son village. J'ai tiré ce récit de son livre paru aux éditions Littell avant que ma voix ne s'éteigne. La réalisation de Céline n'embrasse.

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Christophe Hondelatte. En 1944, la vie est paisible à Oradour sur Glane. On vit au rythme du bourdonnement des cloches de l'église, du bruit sourd, de l'enclume du forgeron qui ferme le sabot des vaches, du marchand de vin qu'il a brillamment ses vues. J'habite juste en face. Ça me réveille tous les matins, la guerre. Honnêtement, la vie de loin. Il y a eu des difficultés, bien sûr. 168 hommes du village ont été envoyés sur le front en 39.

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Quatre sont morts, une cinquantaine ont été faits prisonniers de guerre depuis 1940. On manque de sucre, de café et de beurre. On cuisine au saindoux. Et le vendredi, on n'a pas d'autre poisson que de la morue. Mais c'est à peu près tout ce qu'on subit de la guerre. En juin 1944, on n'a jamais vu un soldat de la Wehrmacht à Oradour. Jamais. Moi, à cette époque là, je suis encore un gamin, un gamin de 19 ans né en 25 à Oradour sur Glane.

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La plupart de mes copains d'école sont des petits paysans, mais pas moi. Mon père est électricien. Il travaille pour la compagnie du tramway. On est quatre enfants. Je suis le seul garçon entre deux grandes soeurs et une plus petite. On n'est pas riches, mais on manque de rien. En 1944, je travaille chez un garagiste à Limoges. J'y vais tous les jours en tramway. Un gamin, je vous dis un gamin qui, en une journée, va devenir un homme.

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Le 6 juin, on a su pour le débarquement américain en Normandie. Le commandement vient de publier le premier bilan, le commandement du général aérienne lors de l'Europe.

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Ça nous a donné de l'espoir, mais le reste, on ne nous a pas prévenus. On ne nous a pas prévenu que dans le Sud, la Panzer division SS d'assurage remonter vers le nord, qu'elle avait pour mission de mater la résistance du Limousin. On n'a pas su que la veille, elle avait perdu 99 habitants de Tulle aux Lampadaires. On n'a pas su qu'elle avait décidé ensuite d'anéantir un village qu'on n'a pas su que c'était notre village. On n'a pas su qu'à 14 heures, Oradour était cerné.

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Le 9 juin, je quitte mon travail à Limoges à l'heure habituelle. Robert Empattements prend journée. On verra plus tard. Ce n'est pas souvent qui nous donne congé, le patron, la joie du débarquement, peut être. Tout ça pour dire que normalement, je n'aurais pas dû être à Oradour le lendemain. Je vais prendre le tram à la gare. On traverse Limoges. Tout est calme, serein, qui fait beau. Le lendemain, le samedi 10 juin, mon père se lève tôt.

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Bon, on dit Robert. Faut que j'aille à cette tournure là, je ne vois pas de retour avant la fin de l'après midi. J'ai promis à la voisine d'aller lui mettre une prise électrique. Tu peux y aller pour moi, j'y vais. Bien sûr, à 14 heures précises, je suis devant notre maison avec mon ami Martial Brissaud. On bavarde, on parle du match de football du lendemain. On ne sait pas bien comment on va s'en sortir avec notre gardien qui borlon.

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Et là, on voit arriver deux autos chenilles, deux camions remplis de NSS armés jusqu'aux dents. Il traverse le village. Moi, je me dis qu'ils sont en route pour le front en Normandie. Mais Martial prend peur tout de suite. D.Robert, je vais y aller, moi je reste pas là bas, ils vont pas manger. Les deux autos chenilles allemande s'arrêtent en haut du village. Elles font demi tour. Les SS en descendent. Deux d'entre eux remontent notre rue des deux côtés et maison par maison, ils font sortir tout le monde place place.

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Vous allez place maintenant place place. On les a suivis, on a fait ce qu'ils demandaient sans hésiter. On n'avait rien à se reprocher. Cela dit, certains n'ont pas voulu leur obéir. Roger, par exemple, un gamin de 8 ans qui habite à côté de chez nous. Sa mère lui répétait toujours Dès que tu vois un Allemand, tu pars. Il s'est enfui comme le marchand de tissus qui a fermé sa boutique et qui s'est éclipsé comme les enfants du Tanneur, Jacqueline, Francine et André.

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Mais le reste de la famille a rejoint l'attroupement. Et moi, j'ai été naïf et pourtant, ma mère m'a dit de fuir. Pourquoi je partirais? LANRIEC Je n'ai rien à me reprocher, je ne suis pas le seul. Le maire et l'instituteur qui sont allés aussi.

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Il commence par mettre le feu au village, maison par maison, et nous, on se rassemble tous sur le champ de foire, un peu inquiet, mais sans rien redouté. Une quinzaine de SS nous encerclent. Ils n'ont pas l'air nerveux. On a aucune raison de craindre le pire. Et pourtant, aux quatre coins, ils ont installé quatre mitrailleuses pointés vers nous. Regardez nous au milieu de cette place. Moi, avec mon tricot de corps, le boulanger en tenue de travail, les mères avec leurs enfants dans les bras et bientôt d'autres qui arrivent.

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Ils en ramènent de tous les hameaux alentours par camions entiers. Il les décharge et ils repartent en chercher d'autres données. Je viens de repérer ma petite soeur de 9 ans au milieu des filles de son école. Elle est terrorisée. A un moment, le pâtissier va voir une sentinelle. Excusez moi, faudrait que j'aille voir mes gâteaux dans le four. Je les ai mis à cuire. J'ai peur qu'ils brûlent. Ne vous inquiétez pas, on va s'en occuper.

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Ça dure comme ça. Trois quarts d'heure, une heure. Et puis les hommes de ce côté, les femmes de l'autre côté. L'institutrice veut garder son petit garçon trisomique avec elle. Pas de problème, madame, pas de problème. Je sais, je sais que ça va vous paraître incroyable, mais la séparation des hommes, des enfants et des femmes se déroule sans problème. Les femmes et les enfants partent les premiers sous la menace de leurs armes. Je cherche ma mère et ma soeur dans la foule.

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Je vois qu'elle me regarde. Je sens qu'elle a peur. Peur pour moi, j'en suis sûr, pas pour un. Nous, les hommes, ils nous mettent en rang par trois face au mur. Si on avait su que la veille, ils avaient pendu 99 personnes, Atul, on serait parti, on aurait couru, on se serait révoltés. Mais on ne le sait pas. Avec la guerre, il y a plus de journaux. Ne pas avoir fait de nous des prisonniers obéissants qui se mettent gentiment en par trois face au mur.

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Qui est le maire du village? Même des Hurteau fait un pas en avant. Choisissez des otages, monsieur le maire.

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Courageux, il se désigne lui même et on le voit partir entre deux SS vers la mairie. On n'a jamais su qui leur avait dit. Ils sont revenus quelques minutes plus tard. Nous savons qu'il y a des armes cachées ici dans ce village. Nous allons donc les chercher. Nous allons fouiller les maisons. Tous ceux qui ne seront pas concernés seront relâchés.

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Nous, on sait qu'un apport des armes en dehors de quelques fusils de chasse, à ce moment là, on se dit ça va bien se terminer et dans les rangs, il y en a qui commencent à penser à leur bétail qu'il faut qu'ils aillent nourrir et donc on attend moins inquiets.

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Certains commencent à s'asseoir sur le bord du trottoir, mais SS autour, se mettent à bavarder entre eux et en acquérait. Et puis, d'un coup par SS, nous divise en quatre groupes. Moi, je me dis nous sépare pour nous empêcher de fuir pendant qu'ils fouillent nos maisons. Ils prennent le premier groupe, ils l'emmènent dans un chai, le fait. Ils prennent le maire avec eux. On le retrouvera avec deux balles en plein cœur. Dans mon groupe, on est 50 60 et nous emmène dans la grange Loder.

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Quand on entre dans la grange, elle est encombrée de charrettes, alors les plus âgées les déplacent et nous les plus jeunes, bah, on s'assoit dans le foin. Et on attend. Les SS commencent par balayer l'entrée de la grange, qui sont 5. Si on avait su, on est beaucoup plus nombreux que. Et après, devant l'entrée, ils installent des mitrailleuses et nous, on s'intéresse pas plus que ça. À un moment, l'un d'entre eux se met à faire le tour du groupe Lovey.

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Faut! Il regagne l'entrée de la grange. Et là? On entend une détonation au loin dans le village, c'est le signal. Et on est tous tombés d'un coup. Moi, quand ils ont tiré, j'étais tout au fond. Au début, j'ai cru qu'il tirait en l'air. Mais comme les autres, j'ai plongé et maintenant, je suis couché par terre, mon bras ramené sur la tête comme si ça servait à quelque chose. Il y a des corps au dessus de moi et je sent un liquide chaud qui coule.

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C'est sang! Moi, j'ai été blessé à la tête au sein gauche et à la cuisse, mais ça va. Mes blessures sont superficielles. J'ai été sauvé par les autres. Le rempart de leur corps. Les 20 NSS savent bien que tout le monde n'est pas mort, alors ils font le tour, ils repèrent ceux qui bougent ou qui gémissent, et ils les achèvent.

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Et moi, je suis sous les cadavres. Qui ne me voit pas? Et puis, ils prennent du foin, des fagots de bois et ils en recouvrent les corps et ils s'en vont. Et dans le tas? J'en entends un qui dit Valls Salò. Ils m'ont coupé notre jambe, je le reconnais, c'est un mutilé de la Première Guerre. D'autres appellent leur femme ou leurs enfants. Moi, je ne bouge pas. Ils ont pu tuer tout le monde.

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Fait un cauchemar. Et puis, un bruit de bottes, les voilà qui reviennent. Ils mettent le feu à l'entrée de la grange. Robert, tu fasses quelque chose, tu parte, tu te sauve, tu veux pas mourir comme ça. Il n'y a pas beaucoup de fumée, mais la chaleur devient insupportable. L'extrémité de mes cheveux commence à roussir, alors j'aperçois une porte. Je l'ouvre. Mince, elle donne sur une cour sans issue. Je reviens dans la grange.

[00:13:45]

Je vois une autre porte. Elle donne sur une autre grange. Je regarde à gauche, à droite, deux SS qui sont partis. Alors je vais me cacher dans une étable en choux. Au loin, j'entends tirer de tous les côtés et puis un moment, j'entends des voix des gens qui parlent français et patois. Kévin. A l'oreille, j'arrive à les retrouver qui sont quatre, ils vont Rouby, Marcel Dartout, Mathieu Boeri et Clément Brousseau. On se retrouve donc tous les cinq cernés par le feu dans une course sans issue.

[00:14:27]

Faut pas traîner sur le côté. Il y a un mur de planches vermoulu. Les copains se mettent à l'attaquer à coups de couteau. Ça donne sur une autre grange et ainsi de suite. On avance de grange en grange. Ça nous prend des heures avec le feu derrière qui sans cesse s'approchent. Il fait très chaud. On a trait soit à un moment de NSS, entre dans une des granges. Ils sont à moins d'un mètre de nous et ils mettent le feu à un tas de paille.

[00:14:53]

Et ils repartent. Sauf que deux d'entre nous sont montés se réfugier dans le grenier. C'est trop tard. On est plus de trois bourry Dartout qui est blessé aux jambes et moi. Et on arrive comme ça à la dernière grange de la rue qui donne sur une place. On jette un oeil à des sentinelles en faction, faut attendre. Aux alentours de 7 heures du soir, la voie est enfin libre. Les sentinelles sont partis du côté du cimetière. Mathieu Boeri, par le premier, vous attend de l'autre côté de la place.

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Marcel et moi, on ne bouge pas. Marcel est beaucoup plus blessé que moi. Il a de plus en plus de mal à marcher. Je peux faire quelque chose pour toi, Marcel. Rien, @Robert rien. Maintenant, faut plus traîner. Le feu se rapproche. Je mélange le premier. Une fois de l'autre côté de la place, on fait signe à Marcel. Il n'a pas pu arriver jusqu'à moi. Il est resté planqué derrière un buisson.

[00:16:12]

Avec Mathieu, on va vers le cimetière. On le traverse, on fait une pause dans un bois et de là, on regarde. Notre village flambait. On arrive au hameau du Teil et là, on tombe sur des gens qui regardent Oradour brûler. On leur raconte. Vous n'auriez pas à avoir. On a très soif. Une femme nous tend une bouteille de vin. Mathieu veut rejoindre le hameau de sa mère et moi, je décide de m'éloigner le plus possible en évitant les routes, les chemins, les maisons.

[00:16:53]

Je marche comme ça jusqu'à environ 10 heures et demie du soir et j'arrive au hameau de la Martinis. Je vois une fenêtre éclairée. Midou, arrivez vous? J'arrive d'Oradour. Les Allemands, ils ont tué tous les hommes là bas tous les jours. Mais qu'est ce que vous avez fait pour qu'ils s'attaquent à vous?

[00:17:22]

Enfin, je ne suis pas moi et là se produit d'un miracle dans la même maison, je retrouve effrayer les enfants du Tanneur qui s'était enfui juste avant l'attaque. Jacqueline francise et André, le petit handicapé. Robert. Tu sais ce qui s'est passé à Oradour? Ils ont tué tous les hommes. Les femmes et les enfants. Ils les ont épargnés, je crois. Je n'en sais rien, en fait, mais je suis convaincu qu'ils les ont épargnés. Je suis convaincu que je vais retrouver ma mère et ma soeur.

[00:18:01]

Je ne sais pas à ce moment là ce qui s'est passé à l'église. Jacqueline me nettoie les plaies avec de l'eau de vie et je passe la nuit à même le sol dans cette maison. Le lendemain matin. C'est étrange, mais je ne suis pas totalement effondré, je suis en vie. Mon père aussi, sans doute, puisqu'il n'était pas au village, et je ne m'inquiète pas pour ma mère et mes sœurs. Je suis sûr qu'elles sont saines et sauves.

[00:18:37]

On les a juste évacuées pour qu'elles n'assiste pas au massacre des hommes. C'est tout. Où sont ils d'ailleurs? A cette heure, c'est peut être chez ma soeur aînée, Odette, elle habite à quelques kilomètres d'Oradour, à Pourriol. Ils doivent être tous là bas et donc je propose aux enfants du Tanneur d'y aller avec moi et on y va à travers champs en évitant les routes et en portant le petit André handicapé.

[00:19:06]

Quand on arrive à Pourriol, je retrouve mon père et ma soeur aînée qui savait que j'étais vivant. Un autre rescapé le leur avait dit, mais ils ne savaient rien de ce qui s'est passé à Oradour. Rien. Tu dis qu'ils nous ont rassemblés sur la place. Ils ont séparé les hommes des femmes. A ce moment là, on pense toujours que les femmes et les enfants ont été épargnés. Aux alentours de 8 heures et demie du soir, mon père décide d'aller voir.

[00:19:43]

Il enfourche un vélo. Il s'approche de l'église. Et là, il voit les corps, les corps calcinés des femmes et des enfants du village qui brûlent encore. Et lui, il se retrouve tout seul face à ces ruines fumantes. Quand il revient chez ma soeur, il essaye de se rassurer. Elles ne peuvent pas être toutes mortes dans l'église. C'est pas possible. Le lendemain. Il est allé les chercher partout dans la campagne alentour. Il les a pas trouvés.

[00:20:22]

Il n'y a eu qu'une seule rescapée du massacre de l'Église, notre ancienne voisine Marguerite Fensch. Plusieurs fois, elle m'a raconté ce qui s'était passé, la terreur de ces femmes, ces mères qui tenaient leur bébé à bout de bras et de jeunes SS qui, aux alentours de quatre heures de l'après midi, ont posé une caisse au milieu de la nef de l'église. Et l'explosion qui a suivi et juste après les Český Rafale et le feu.

[00:21:00]

Je n'ai pas eu de désir de vengeance. J'étais plus abattu que révolté et si fin juin, j'ai rejoint le maquis, la résistance s'est par une suite de hasards sans préméditation, plus poussés par le désir de retrouver une famille que par patriotisme.

[00:21:23]

Après, comme les rescapés des camps de concentration, je me suis senti coupable d'être revenu de l'enfer. Une culpabilité, et donc j'ai décidé de me taire pendant toute ma carrière de garagiste. Je n'en ai jamais parlé. Jamais je n'ai jamais voulu me présenter comme un survivant de la grange Loder. Dans mon entourage professionnel, très peu de gens savaient. Mais en 1953, il y a eu un premier procès à Bordeaux et on m'a demandé de témoigner à la toute fin.

[00:21:59]

Il était là, 21 d'entre eux dans leur costume, sans leur uniforme SS. Deux seulement furent condamnés à mort et les autres à des peines de 5 à 12 ans de prison. Et de toute façon. Quelques jours plus tard, au nom de la réconciliation, ils ont tous été amnistiés. Ça a été terrible pour nous. Il y a eu un deuxième procès en 1983 à Berlin ouest pour juger le sous lieutenant Heinz Barth, qui avait participé au massacre.

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Et là encore, j'ai tenu à témoigner et j'ai pu lui poser des questions. Pourquoi? Je vais obéir aux ordres. Il a été condamné à la prison à vie. Il y a quelques années, ma petite fille Agate est entrée en sixième. Elle n'a pas parlé, mais elle a choisi d'apprendre l'allemand. Moi, de toute façon, j'étais d'accord. Mais j'espère que ce récit prolongera ma parole. Après ma mort et contribuera à faire durer la paix entre les peuples.

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J'ai tiré ce récit de son livre paru aux Editions Littell avant que ma voix ne s'éteigne. Des centaines d'histoires disponibles sur vos plateformes d'écoute et sur Europe1.fr.