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Raconte Christophe Hondelatte. Bonjour a tous une histoire un peu dérangeante aujourd'hui, je vous préviens d'avance. L'histoire d'une adoption bradée à un petit Indien qui est en face de moi et qui a aujourd'hui 50 ans, est devenu un petit Belge pour le meilleur et surtout pour le pire. Bonjour Christian Dumortier. Bonjour, vous avez raconté votre histoire il y a quelques années dans un livre adopté dans le vide aux Éditions du Sarment. C'est l'histoire de votre adoption à l'âge de deux ans et demi par un couple de Belges.

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C'est une histoire douloureuse que sans doute beaucoup de parents qui ont adopté à l'étranger auront du mal à entendre, mais qui n'est peut être pas si rare puisque depuis la parution de ce livre et on en parlera tout à l'heure, vous avez rencontré et fédéré autour de vous d'autres enfants adoptés qui ont souffert de leur adoption. C'est une histoire que j'ai écrite avec Simon Reille.

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Réalisation Céline, l'Ombrage, Henrotin. Ondelettes raconte. Sur l'adoption internationale, il n'y a qu'un seul discours depuis toujours, c'est formidable et on résume toujours l'histoire. Un schéma bien naïf. Les parents ont de l'amour à donner. Les parents ont attendu longtemps. Les parents ont fait le parcours du combattant. Bref, les parents le méritent bien. Et en face, il y a un gamin ou une gamine. On sort de la misère d'un orphelinat putride, un gamin qui a failli grandir sans amour et qui, finalement, a bien de la chance.

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Alors écoutez l'histoire de Christian et accepter l'idée que parfois, peut être plus souvent qu'on ne le dit. L'adoption, c'est un carnage. Christian est né en Inde, à Pondichéry et en août 1968, il a deux ans et demi. On l'arrache à son orphelinat pour le mettre dans un avion pour Bruxelles, en Belgique. Bruxelles où l'attendent monsieur et madame Demortier. Ses parents.

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Je vous présente le père a 30 ans, il est commercial, il vend des cravates et la mère est femme au foyer. Ils ont une jolie maison dans la banlieue de Bruxelles et avec ça, bons catholiques. Ils ont déjà un enfant biologique, un garçon de 7 ans et demi. Jacques, le père a eu un cancer des testicules. Ils ne peuvent pas en avoir d'autres. Et comme ils sont bénévoles dans une association qui s'appelle Enfants du monde et qui s'occupe justement d'adoptions à l'étranger, ils disent Et si on en a adopté un?

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D'après ce que Christian, ils l'ont choisi sur catalogue, sur une photo, un flash, un coup de coeur. Vous devriez peut être en choisir un autre. Celui là a des problèmes de santé. Ah non, non, non, c'est lui que je veux. C'est lui que la maire veut et aucun autre. Et après, c'est allé très vite. Voilà donc la petite merveille qui descend de l'avion. Vrai ou pas? Il paraît qu'à peine descendu, il a voulu repartir.

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Il ne s'en souvient pas. Évidemment, Christian, c'est ce qu'on lui a dit. Il voulait courir vers l'avion. Et quand ils l'ont couvert de joujoux, il les aurait tous cassé dès le premier jour. C'est un gamin, un tout petit gamin un peu effrayé, qui regarde ces gens comme ça avec ses grands yeux noirs. Mettez vous un peu de son côté pour changer. Et ce gamin est tombé dans une drôle de famille, une famille toxique, et ça non plus, évidemment, il ne l'a pas compris tout de suite.

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Au début, ça ressemble à un rêve. La mère s'empare littéralement de lui. Elle le trouve si beau avec sa peau bronzée. Il y en a plus que pour lui que pour lui. Ça peut se comprendre. Elle veut nouer un lien. Sauf qu'elle était tout fante et étouffante. Et surtout, les autres. Son mari et son fils aîné n'existent plus. Elle ne les voit plus. Elle ne les capte plus. Il n'y en a plus que pour Christian.

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C'est très pervers parce que le père, du coup, se réfugie dans le travail. Et puis il prend une maîtresse. Et puis il devient odieux avec elle. Odieux que tu es laid.

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Vraiment? La mère, du coup, se venge sur Jacques. Je regrette bien d'avoir mis au monde toi, quand le père veut frapper la mère. Le petit Christian. Haut comme trois pommes, s'interpose. Papa, arrête de faire du mal à maman. Et à la fin des fins, qui qui déguste? Lui, ça commence par des attouchements du père. De plus en plus insistant là dessus, Christian écrit J'ai tellement besoin de marques d'affection. Mais à 5 ans, je sens que ce contact paternel n'est pas affectif.

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C'est l'exercice d'un pouvoir. Et puis viennent les coups de cravache, les séjours dans la cave, la mère qui plonge dans la dépression et lui, petit bout de chou. Il est là, au milieu perdu, broyé par ces gens. Christian a 5 ans et il commence à comprendre.

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Et il se dit Je ne veux jamais être comme jamais. Christophe Hondelatte. Là dessus, le père tombe malade sclérose en plaques et la maladie évolue assez vite. Il perd la tête. Il ne parle plus. Il ne marche plus. Il faut lui donner à manger à la petite cuillère. Et à cette période là, Christian le raconte. Quand il est tout seul avec lui, il se moque de lui. Il se fiche de lui. Il l'imite quand il tremble du visage devant lui.

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Il baragouine comme lui des mots incompréhensibles. Il se venge et il lui arrive de souhaiter sa mort. Vous vous rendez compte si on est loin, très loin de la belle histoire d'adoption. Et ça va durer comme ça s'étend. Et quand le père meurt, Christian a 14 ans et il écrit Je ne pleure pas, c'est une libération. Mais j'ai un regret ne pas lui avoir dit que sa maladie était une punition pour tout le mal qu'il avait provoqué autour de lui.

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Je vous l'ai dit, Christian a maintenant 14 ans, c'est l'âge des grandes interrogations. Pourquoi est ce qu'ils m'ont adopté? Pourquoi est ce que je n'ai pas été adopté par une famille stable et aimante? Et il écrit cette phrase terrible Je me sens abandonné une seconde fois être abandonnée, c'est manquer d'amour. J'ai atterri dans une famille adoptive dont les membres avaient été abandonnés par l'amour. Et là, il se retrouve en tête à tête avec sa mère, avec l'impression d'être le père de sa mère, d'être celui qui lui donne de l'énergie.

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C'est le monde à l'envers. Il est plus fort qu'elle, en fait. À 14 ans, ça lui a donné de la force, tout ça, cette survie permanente. Et sa mère, il la regarde. Ils n'ont aucun point commun. Aucun lui. Il est fin, le visage doux. Elle, elle a le visage carré masculin. Non, décidément, ils n'ont rien en commun. Il lui arrive de penser bien sûr à sa mère génétique.

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Il en rêve même parfois la nuit pour lui trouver une excuse à la voir abandonnée. Il se dit qu'elle était prostituée. 14 ans, ça tourne dans sa tête. Pour collège, bien sûr, c'est la dégringolade et tout ce que sa mère trouve à lui dire, c'est t'imagine pas que j'aurais offrir des cours particuliers, t'en vaut vraiment pas la peine. Et le frère Jacques qui enfonce le clou si ça continue. Tu finira éboueur au collège. Il n'est pas intégré.

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Il ne fume pas, il ne boit pas. Il n'est pas rigolo. On le traite de nègres à qui il en veut, à cette fichue couleur de peau. Mais il s'est fait un vrai copain, Pierre. Un type un peu à part, lui aussi. Grand, mince, sensible, un peu efféminé. Et un jour d'hiver à la récré, il lui prend les mains. Juste pour le réchauffer. Et ça fait ricaner autour. Évidemment.

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Tapette à tapette, à tapette. Et quand il va dire à sa mère qu'il s'est fait insulter? Bah si, c'est vrai. Surtout bien mérité. Un soir, sa mère l'emmènent dans un restaurant à Bruxelles. Il s'assoit tous les deux à table. Et là, il le voit tout de suite. Tout le monde se retourne. La différence de couleur de peau lui donne noir et elle, toute blanche.

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Du coup, en voyant les regards, quand le serveur arrive, la maire en fait des tonnes. Mon fils va prendre le premier menu. Elle répète plusieurs fois mon fils parsis, mon fils par là et Christian. On comprend très vite que c'est parce qu'elle a peur qu'on le prenne pour son Gitton, pour son amant. C'est terrible comme constat. Elle a peur du qu'en dira t on avec son fils. C'est vertigineux. Ils sont étrangers l'un à l'autre.

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Même son odeur est différente. Son odeur corporelle. Il l'a remarqué. Ça, il ne sent pas pareil. Il y a un truc qui commence à travailler, il veut savoir d'où il vient. Ce qu'on lui a dit jusqu'ici, c'est qu'il a été abandonné à cinq semaines dans un village près de pont différée, que là, il a été accueilli par des religieuses dans une crèche où il est resté jusqu'à son adoption et son départ pour la Belgique.

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Mais forcément, il voudrait en savoir plus. Il en parle à sa mère Bady, dont la chance d'avoir été adoptée n'oublie pas qu'on a sauvé la vie quand même.

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En Inde, il n'y a pas de registres de naissance et la directrice de la crèche a brûlé tous les papiers. Toujours encourageante, la mère. Christian a maintenant 16 ans et comme par hasard, il s'est fait un ami indien, Ziya, un Indien du Nord musulman. Un peu plus jeune que lui, 14 ans, il parle beaucoup. Tous les deux, c'est ma mère. MDX Mes parents biologiques sont morts. Question C'est pas sûr du tout. Moi, à ta place, j'irais en Inde pour être sûr.

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Et ça, ça va rester dans un coin de sa tête. À part ça, il va régulièrement chez Izïa et il fait connaissance avec sa famille simple, joyeuse, libre. Les parents de Zahia l'adorent. Il parle beaucoup tous les deux. Ils ont la même couleur de peau et il y a aussi connaît le racisme. Tu sais, moi aussi, je sensas. Mais il faut reconnaître que j'ai une chance que t'as pas quand je suis agressé à l'extérieur, quand je rentre chez moi.

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J'ai mes parents, j'ai ma culture, je me sens protégé. Toi, c'est sûr, tu te retrouves seul avec ta famille belge. Ce n'est pas pareil. Pour la première fois, Christian se sent indien et quand sa mère lui dit que non, qu'il est Belge, il explose. Je suis tamil, maman. Je viens du Tamil Nadu, au sud de l'Inde.

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À part ça, Christian a 16 ans, 17 ans, 18 ans et toujours pas de petite copine, même pas un petit flirt à rien draguée quand on est Indien en Belgique, c'est pas facile, mais on était à Bruxelles, dans un snack. Il repère une serveuse, Karine, belle, grande, mince, avec de beaux cheveux châtain clair.

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Et enfin, il tombe amoureux et elle le présente à ses parents qui habitent le quartier le plus huppé de Bruxelles. Le père de Karine est haut fonctionnaire imposant. Pas très sympathique. Le courant ne passe pas vraiment. Et surtout, quelques jours plus tard, Karine lappelle en larmes. Je crois. Mais pourquoi Karine? Ce que j'ai fait, je t'aime pas. On n'a qu'à rester amis. Mais pourquoi il ne veut pas qu'on soit ton père? Mais je ne suis pas étranger, je suis Belge.

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Christian se sent humilié, mais qu'est ce que je fous dans ce pays où tout le monde me rejette?

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Il tente tout pour essayer de renouer avec Karine. Il accepte de la revoir dans un parc. Il essaye de l'embrasser. Elle refuse et lui, ça fait comme un déclic. Et là, il se met à lui serrer la gorge. Il est en train de l'étrangler. Heureusement, une petite voix lui dit Arrête Christian, tu déraillent. Alors il relâche les mains. Hagard toute la violence qu'il a accumulé pendant toutes ces années, il vient de ressortir un coup.

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Et ça va le marquer, ça, c'est comme un signe qu'il vient de s'envoyer à lui même. Il a trop longtemps ravalé ses problèmes en silence. Il a trop négligé tout ça, alors il décide de se reprendre en main. Cette agressivité qu'il a développée envers les femmes, ça vient de loin. De son père qui battait sa mère, sans doute. Et aussi de toutes ces filles qui disent non parce qu'il a la peau trop foncée. Tout cela l'a rendu misogyne.

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Il est lucide.

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Maintenant, Christian a 19 ans, sa mère part s'installer aux États-Unis et son meilleur ami indien, GIA, part vivre à Londres. Il se retrouve tout seul en Belgique et c'est à ce moment là qu'il ressort d'un coin de sa tête son projet d'aller en Inde voir où il est né.

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Il va mettre des années à le concrétiser. Entretemps, il étudie le journalisme et il devient professeur. Et c'est son métier de prof qui lui offre la bonne excuse. Il écrit à l'Alliance française à Pondichéry. Il est candidat à un poste de professeur de français à la rentrée prochaine.

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Pas de réponse. Il a un peu de son côté. Il y va quand même. Il verra bien sur place. Il va à l'ambassade indienne à Bruxelles. Bonne nouvelle en tant qu'enfant né en Inde, il a droit à un visa d'un an automatique. Mais mauvaise nouvelle, il doit rendre son passeport indien, celui qu'il a gardé depuis tout petit. Un enfant adopté ne peut pas avoir la double nationalité. C'est comme ça, donc il rend son passeport et on lui donne son visa.

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Et sa mère et son frère trouvent que c'est une lubie ridicule. Peu importe, il va enfin savoir.

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Brussels Bomber en avion et Bomber Madras Sentra 26 heures de train sur une banquette de troisième classe et bon différé.

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Enfin! Et dès qu'il arrive à Pondichéry, il va droit à l'hôpital Saint-Joseph de Cluny. C'est l'orphelinat où il a grandi. Et là, il tombe sur une bonne sœur et une puéricultrice qui se sont occupées de lui quand il était tout petit. Elles se souviennent de lui mieux que ça le touche. Elle le caresse. Elle l'embrasse. Il écrit Je ne me souviens pas de leur visage, mais bien de sa peau foncée, de leur odeur chaude et épicée, de ses larges sourires aux dents blanches et de ses gestes tendres et sensuel.

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Une sœur lui raconte. T'étais un petit fou plein de vie, t'étais glouton et affectueux. Tu courrai dans tous les sens, me souviens. On ne pouvait pas arrêter. C'est une libération. La Belgique avait fait de lui un enfant timide, renfermé. Le retour en Inde lui rend sa vraie nature. Christian vient de retrouver d'un coup l'appétit de vivre. La mère supérieure lui fait alors une proposition séduisante. Pendant son séjour, Christian, pourquoi est ce que tu vivrais pas dans une famille indienne?

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Je connais quelqu'un que. Et ils acceptent bien cela. Trop contents et ils emménagent chez Aro qui Azami et il va vivre à l'indienne. Manger du poisson frit et du riz basmati à la main par terre sur des feuilles de bananier. S'habiller avec des vêtements indiens chamarré en sous. Et au final, dans la moiteur de Pondichéry, il perd 10 kilos.

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Il se sent bien anonyme parmi les siens. Pas de regard de travers. Un Indien parmi les Indiens. Un jour, à l'Alliance française, une étudiante ose critiquer son cours. Très bien. Alors, quels changements? Est ce que tu suggères pour améliorer mon cours? En guise de réponse, il obtient un silence. Alors, il va au tableau et il écrit un poli.

[00:20:26]

Tiens, voilà un nouveau mot pour ton vocabulaire et il te convient à ravir.

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Sauf que la fille va se plaindre au directeur. Et il apprend que cet élève appartient à la caste des brahmanes, la caste supérieure. Et il apprend que lui, avec sa peau foncée, vient d'une caste inférieure. C'est pour ça qu'elle l'a pris de haut. Il n'est pas de son monde et ça, c'est une sacrée des illusions. C'est l'autre visage de l'Inde. Les castes, le racisme des Indiens du Nord envers ceux du Sud. S'il était tenté d'idéaliser son pays natal, Christian vient de prendre une belle claque comme une petite voix qui lui dit de revenir en Europe.

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Dans son livre, il écrit Si je n'avais pas été adopté, j'aurais été indien à 100, on m'aurait choisi une religion, une femme et un mode de vie à respecter, mais ma vie aurait été simple. En Europe, j'ai développé une nature indépendante, rebelle, libertaire. Si j'avais vécu en Inde, aurais je pu effectuer un travail si profond sur moi même?

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Christian, on va faire au total neuf voyages en Inde. Il va apprendre le tamoul, la langue de son pays d'origine, et il va reprendre son prénom indien Villach. Et un jour, en 2002, juste avant de mourir, sort Suzanne, qui dirigeait l'orphelinat quand il est né, répond enfin à sa question.

[00:22:31]

Mon fils vient. Tu a le droit de savoir. Alors, d'après mes informations. Tu viens de Nailly, top, c'est un village au sud de l'Inde. Ton papa serait maçon et un doux et ta mère serait morte en couches. C'est tout ce que je peux te dire. On raconte. Je vous ai raconté aujourd'hui une histoire que je considère comme assez dérangeante parce qu'au fond, elle est très en marge du discours dominant. L'histoire d'une adoption internationale ratée.

[00:23:11]

Votre histoire? Christian de Mortier, tiré de votre livre adopté dans le vide, paru il y a quelques années aux Éditions du Serment. Vous êtes un petit Indien à l'origine adopté à l'âge de deux ans et demi par un couple de Belges. Et votre père est mort. On l'a raconté dans le livre, votre mère est morte aussi. Oui, il y a quelques années, en 2012. Est ce qu'au final, vous savez si elle a fini par penser la même chose que vous?

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C'est à dire que c'était raté? Non, elle ne pouvait pas. Non, je crois qu'elle n'avait pas les moyens intellectuels, affectifs pour se rendre compte que c'était un échec. Alors, vous avez raté son adoption. Mais réussir sa vie, quoi? C'est une phrase assez banale, mais je l'ai vraiment réalisé, mais au prix d'une certaine douleur. On doit travailler la douleur pour accoucher de soi. Moi, ce que j'ai compris de cet échec, c'est que au fond, les raisons sont doubles.

[00:24:03]

Il y a d'abord la question de l'identité. Au fond, à chaque fois que vous regarder dans la glace, vous n'avez pas l'air d'un Belge. Ça, vous pourrez jamais le changer. Et la deuxième, c'est la question de cette famille qui était particulièrement toxique. Vous vous avez cumulé au fond les deux inconvénients. Alors les cas de vos parents est particulier parce qu'il renvoie à une époque où, manifestement, en Belgique, on avait un agrément pour l'adoption internationale assez facilement, sans contrôle de l'équilibre personnel.

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Mais depuis 2003, en Belgique en tout cas, il y a un contrôle très important au niveau des ambitions des parents adoptants. C'est une bonne chose. Je crois que j'ai contribué un peu malgré moi cette évolution suite à d'autres livres que j'ai écrit. Des interventions que j'ai faites à la radio, à la télé belge. Ça montre, à votre avis, s'il y avait eu un contrôle, un vrai suivi de vos parents. On aurait détecté leur toxicité.

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Oui, j'y pense, mais déjà, je le fais que malheureusement pour lui, mon père était déjà malade. Il avait cette sclérose en plaques de Douglas Porter en lui. Malheureusement, c'est une maladie voulant cacher le monde. Et donc, je pense qu'à ce moment là, il n'aurait pas pu adopter. La névrose de vos parents étaient visibles?

[00:25:16]

Oui, je pense que instinctivement, je crois qu'un enfant ne sait pas, mais il sent mal et il sent à travers son regard. Il sent avant le langage, avant les mots et je pense que je ressentais les choses très, très tôt. Est ce que c'est de l'intuition, du sixième sens? Je ne sais pas, mais je pense que tous les enfants l'ont. Mais s'est tu, puisqu'on ne peut pas le verbaliser? Mais je sentais que ça allait très mal se passer.

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On lit dans votre récit une détestation pour votre père réel? Oui, oui, une énorme sur laquelle vous n'êtes pas revenu. Oui, même s'il est mort. Oui, oui, mais on ne souhaite pas ça son pire ennemi que de terminer de cette façon là. En revanche, un peu de compassion pour votre mère?

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Oui, tout à fait. Oui, je pense avec le recul qu'elle avait des problèmes psy. Moi, je pense qu'on dirait actuellement qu'elle était bipolaire. A l'époque, on disait maniaco dépressive. Mais je pense qu'elle même n'était pas aimé par sa propre mère, qui était très misogyne. Oui, ma mère adoptive était très misogyne aussi. C'est pour ça qu'elle a voulu adopter un garçon. Dans la majorité des cas, les parents adoptifs préfèrent adopter une petite fille.

[00:26:27]

Donc, il y a aussi ce problème là. C'est que ma mère elle même avait des problèmes identitaires par rapport à sa propre féminité. Et donc, voilà. Mais vous n'avez jamais vu arriver avec elle une conversation? J'ai tout fait. J'ai tout fait, même quand elle est tombée malade. J'ai voulu me réconcilier avec elle parce que je pense que c'est très important de se réconcilier avec ses parents avant leur mort. Et je crois que c'est la chose la plus fondamentale.

[00:26:52]

Mais le fait que moi, je n'ai pas pu faire la paix avec elle parce qu'elle a refusé la réconciliation l'a refusée. Elle a refusé, je pense. Oui, parce qu'il aurait fallu qu'elle se remette en question. Il faut avoir beaucoup de courage pour se remettre en question, pour se rendre compte qu'on s'est trompé dans la vie. Mais l'idée aussi, c'est que même si on ne se fait pas la paix avec l'autre, on fait la paix avec soi même.

[00:27:13]

Et je ne regrette pas d'avoir essayé maintes fois de faire la paix avec elle. Mon cœur avec vous même. On a le sentiment dans le livre que le contact ne s'est jamais fait. Jamais, non, jamais. Non, je crois qu'il voulait rester enfant unique. Et je pense qu'au niveau, ça, c'est pas de chance pour moi. C'est qu'il y aurait pu y avoir des affinités entre frères, une transmission et une transmission à partager. Malheureusement, ça ne s'est pas fait et je pense qu'il ne m'a jamais accepté.

[00:27:41]

Mais je pense qu'il a aussi eu des problèmes aussi. Il était aussi le fils de ces gens toxiques. Voilà, c'est ça. Et un chien, c'est pas un chat, quoi. Je pense qu'il a repris aussi des éléments de leur personnalité. Avec lui, les ponts sont coupés. Oui, oui, mais c'est pas grave. De couper les ponts avec quelqu'un quand il n'y a plus de partage possible. Oui, mais il faut être courageux pour le faire.

[00:28:05]

Il n'y en a jamais eu. Non, probablement pas. Ce n'est pas un besoin. On a parlé de la première raison qui a créé vôtre votre mal être, qui était la toxicité de la famille dans laquelle vous êtes tombé. Ce père qui était violent, cette mère qui était dépressive. Ces gens qui ne sont pas en vérité et qui n'avaient pas de raison d'avoir un enfant en commun. Et puis, la deuxième chose que vous racontez extrêmement bien dans ce livre dont j'ai essayé de rendre compte, c'est cette différence physique qui est un obstacle continu à votre vie en Belgique.

[00:28:37]

C'est chaque fois vous vous regarder dans la glace. Vous vous dites je ressemble pas à ces gens. Je ressemble pas à un Belge, je ressemble à un Indien. Vous pensez que c'est toujours un risque que ça, au fond, que de prendre un enfant à l'étranger et de venir en faire un enfant européen? Quand le physique ne suit pas, c'est un risque. Oui, parce qu'on est toujours autre. Moi, je me suis senti toujours autres.

[00:29:01]

Soyons objectif. En Inde, je me suis sentie autre, même en Inde. Ah oui, bien sûr. Oui, parce que en Inde, il y a aussi beaucoup de racisme. Il y a Iasi, Bolkenstein, rationnée, des castes, le racisme des castes, la couleur de la peau aussi. C'est quelque chose d'universel. Non, parce que vous étiez, par exemple, directives d'un Indien du Sud en Inde du Nord.

[00:29:22]

Les Indiens du Sud auquel j'appartiens. Mais ce sont des gens d'origine africaine, à l'origine cessais d'origine parce que ma langue tamoul. J'ai découvert qu'il y avait des racines lexicales propres aux Camerounais, à la langue camerounaise. Donc, dire qu'on est en plus très typé, même en Inde, je veux dire, par rapport à ceux qui sont. Vous avez raison. Vous avez rencontré en Inde, je crois, des petits Indiens qui n'avaient pas été adoptés, à qui on avait dit tu vas être adopté, puis ça s'était pas fait.

[00:29:52]

Alors ça, c'est très intéressant parce que on m'avait toujours fait la morale ici en me disant oui, mais si tu n'avais pas été adopté, tu serais mort, tu serais pauvre, tu serais bon. Et il se fait que des années plus tard, donc, il n'y a pas si longtemps, il y a une dizaine d'années, j'ai rencontré des Indiens qui avaient été orphelin de père ou de mère, qui auraient dû être adoptés et qui étaient dans des orphelinats crèches.

[00:30:16]

En Inde, le terme est toujours ambigu crèches, orphelinats et qui n'ont pas été adoptés. J'ai rencontré des noms qui ne sont pas si malheureux que ça. Ils me disent d'ailleurs, eux, être orphelins. C'est impossible parce que même si on a un père ou une mère qui décède, il y a toujours un oncle, une tante, même un frère ou une sœur du lien parent enfant en Inde. Et pas du tout la même classe du tout.

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C'est à dire que l'enfant est communautaire. L'enfant appartient à une communauté. Ici, en Europe, l'enfant appartient à son père et à sa mère. Propriété. Oui, c'est une famille nucléaire, c'est une propriété. Je crois que c'est dur, finalement, pour les parents aussi en Inde. Finalement, l'enfant appartient aussi à son oncle. l'Oncle joue parfois le rôle de père et c'est dans la famille de Zia. Cet Indien que j'ai rencontré quand j'avais 16 ans, qui m'a montré cette richesse de la famille communautaire, en fait.

[00:31:07]

Mais comme vous, vous avez bien montré dans votre récit que vous n'aimez pas non plus la caricature. Est ce que vous acceptez l'idée que parfois, ça a été une chance formidable pour un petit Indien d'être adopté en France ou en Belgique? Bien sûr. Bien sûr, bien entendu. Vous en avez rencontré? Oui, j'en ai rencontré ce qui a eu le malheur de penser. Et on sait tout ce que penser profondément, c'est un risque et ne pas penser à accepter sa situation sans réfléchir.

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C'est finalement beaucoup plus facile dans la vie que c'est confortable. J'aurais bien voulu être comme ça, mais ce qu'il y a, c'est que j'ai une sensibilité telle que peut être génétique ou généalogique, qui me pousse à me poser des questions et à devenir quelqu'un de très complexe, très compliqué et peut être même emmerdant. Si ça peut se passer emmerdant, on risque emmerdé pas mal de monde avec mes livres.

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Est ce que vous vous avez rencontré d'autres personnes qui sont capables de dire aujourd'hui, mon adoption en Europe a été ratée? Oui, tout à fait. Oui, mais vous racontez comment par dizaines. Oui, oui ou centaines? Oui, mais moi, je croyais que j'étais un cas particulier avec mon premier livre. Et puis, je me suis rendu compte avec tous les témoignages que j'ai eus. Ça m'a vraiment sidéré, quoi. Pierre suis rendu compte que je n'étais pas qu'un cas particulier, mais qu'il y avait plein de cas particuliers.

[00:32:28]

Nous sommes tous des cas particuliers. Finalement, qu'on soit adoptés ou pas, et ça marche. Ça m'a sidéré. Ça m'a rassuré. En même temps, j'ai été effrayé par le nombre dadopter qui ne se sont pas intégrés dans la famille. Et ce n'est pas nécessairement la faute des parents adoptifs. Je crois qu'il y a des adoptés comme moi qui ne sont pas faits pour être adoptés et qui sont faits pour appartenir à une famille élargie à une communauté, mais pas à un père et une mère.

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Vous êtes redevenu Villach. Vous êtes vous devenu Tila Gouil? Jusqu'à prendre reprendre la nationalité indienne? Non, parce que si vous prenez la nationalité indienne, vous perdez la nationalité européenne et moi, je suis redevable de la culture gigantesque que j'ai acquise en Europe. Parce que pour moi, l'Europe, c'est un laboratoire depuis des siècles, un laboratoire de culture et d'intelligence, de remise en question qu'on trouve dans aucun autre continent. Ça a été sa chance. Fabuleux.

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Fabuleux. La culture, la, l'invention de la fiction, c'est quand même l'Europe qui a inventé la fiction. Et c'est dans la fiction que j'ai pu me trouver moi même aussi. Mais j'ai une carte de résident en Inde qui me permet de retourner quand je veux de travailler là bas, de faire ma vie là bas. Mais je ne pense pas que ma vie soit. Vous ne pourriez pas vivre à cent pour cent en Inde. Pas possible. Non, non, l'Europe vous manquerait?

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Oui, voilà. Il y a cette ambivalence, ce tiraillement. Mais finalement, j'en ai fait une richesse. Finalement, cette instabilité, on n'est pas obligé d'être équilibré. On peut être équilibriste et s'enrichir par le déséquilibre. Est ce que vous accepteriez de dire que ça, vous le devez aux Demortier? Oui, bien sûr.

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Par par parle, par la souffrance, on peut acquérir beaucoup de joie et de richesse. J'ai adopté qui n'avait pas souffert et qui regrettait de ne pas avoir été adopté dans une famille comme la mienne parce qu'il ne pouvait pas critiquer leurs parents adoptifs. Ils ne pouvaient pas se remettre en question. Quel paradoxe est un étrange dont je remercie cet échec, finalement.

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Alors, vous défendez une idée qui est très peu répandue, quelque chose qui d'ailleurs est assez peu connu. Vous vous avez été adoptés en adoption dite plénière, c'est à dire que du jour au lendemain, vous êtes devenu Belge et vous êtes devenu Demortier. Mais il existe un autre système d'adoption qui est l'adoption simple qui permet de garder les deux filiations et personne n'utilise ou quasiment personne. Cette adoption simple, qui maintient la filiation d'origine et qui surajoute la filiation nouvelle.

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Voilà, il n'y a pas de rupture. Moi, j'ai connu un père adoptif qui avait adopté une petite Polynésienne selon le régime de l'adoption simple. Et c'était très bien parce que c'est cet homme là qui avait une compagne. Ce père adoptif avait une compagne. Il était très humble. Il disait Cet enfant ne m'appartient pas et finalement, cet enfant n'est pas complètement déraciné. Il est encore en contact avec sa famille biologique polynésienne. Il y a des échanges et ça reste dans l'idée que l'enfant reste communautaire.

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Je pense que c'est une solution en Europe aussi parce que le poids qui existe sur le père et la mère occidentale dans la famille nucléaire est énorme. Cela engendre beaucoup de divorces, je crois. Et si la famille était beaucoup plus élargie, je crois que l'amour serait beaucoup plus diffusé et plus riche aussi. Il y a des portes de sortie. Je vous remercie beaucoup, Christian, d'être venu cet après midi. Je rappelle le titre de votre livre qu'on peut toujours trouver.

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C'est la joie d'Internet sur Amazon ou ailleurs, adopté dans le vide aux Éditions du Serment. Il y en a d'autres. Oui, il y a l'adoption et sa face cachée. Le deuxième, puis un troisième livre, Cendrillon dans le monde réel, qui est plutôt un essai à caractère scientifique. Merci.

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