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9 heures 9 heures 30. Franck Ferrand raconte sur Radio Classique. Dans la manne opulente des livres qui paraissent chaque semaine ou presque, Nissan présente un de temps en temps qui retient mon attention un petit peu blasé. Il faut bien le dire, un peu comme un oiseau très coloré viendrait se singulariser au milieu d'une volée de moineaux gris. C'est exactement l'impression que m'a fait récemment un ouvrage hostile, enlevé.

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Amusant parce qu'un musée peut être un ouvrage préfacé par Michel Winock et publié par Tallandier. La biographie des infréquentables frères Goncourt par un jeune auteur des plus prometteurs, Pierre Ménard. On connaît évidemment les frères Goncourt par cette célèbre académie Goncourt et par le prix littéraire qu'elle décerne chaque automne. On connaît moins leur prénom Edmonde pour l'aîné, Jules pour le cadet et presque plus leurs œuvres pourtant copieuses. Une œuvre naturaliste qui, en leur temps, a été très importante. Et je ne parle même pas de leur vie qui, elle, est tout à fait oublier ses deux frères nés sous Louis 18 pour l'aîné, à 8 ans de plus, Edmond, à 8 ans de plus que Jules sous Louis-Philippe pour le second, n'était pas seulement des frères de sang.

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Ils partageaient une véritable gémellité d'esprit, une fraternité fusionnelle, peut être sans équivalent, comme une seule âme dans deux corps. Si vous voulez, Edmond finissant les phrases de Jules, le petit Jules vif et blond, s'identifiant aux idées, aux sentiments ou aux perceptions du grand Edmond Brun, pour sa part, est beaucoup plus réservé. Les frères Goncourt n'ont jamais eu le souci de vivre de leur plume.

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Nous nous dit Georges Ravon, les rentes que leur avaient laissé leurs parents, leur mère, veuve à 36 ans d'un des plus jeunes officiers de l'empire, avaient difficilement défendu les fermages de ces terres si ces rentes n'étaient pas considérables. C'était 12.000 livres. Du moins était elle suffisante pour qu'il ait pu, dès l'adolescence, s'adonner à la littérature et cette littérature qu'il regardèrent toujours comme la plus exigeante des maîtresses. Il était trop aristocratique pour en attendre des profits matériels. En 1849, alors qu'ils ont respectivement 27 et 19 ans, Edmond et Jules s'en vont pour dessiner.

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Pour peindre, ils veulent devenir artiste peintre. Et les voilà qui, au hasard des rencontres, circulent à travers la Bourgogne, le Dauphiné, la Provence et même l'Algérie, où ils vont aller séjourner plusieurs semaines. Ils sont indissociables, ces deux frères inséparables. Ô combien, dans un premier temps, donc, ils ont pensé se vouer à la peinture, à la peinture ensemble depuis toujours. Tous les deux. Bien sûr, ils ont pris le chemin de la littérature.

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Les Goncourt étaient d'une sensibilité maladive qu'entretenait une santé médiocre. C'est ainsi qu'Edmond, qui avait rapporté d'Algérie une dysenterie très grave, resta si affaiblie par cette épreuve qu'il déclara n'avoir jamais connu depuis cette époque. Une seule journée tout à fait exempte de malaises, nous dit Georges Ravon. Le Jules, lui, s'il n'était pas véritablement atteint de gastrite ans, était du moins si fortement persuadé qu'il en ressentait les souffrances.

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Il devait mourir avant la quarantaine d'une exaspération de sa névrose, comme on pouvait l'écrire à l'époque où se Kahlan, si je puis dire, sur le style des frères Goncourt, ont essayé d'expliquer leur étonnante psychologie. La conception que se former les deux frères des disciplines littéraires n'aurait pas pu, d'une certaine manière, compenser leur fragilité physique et leurs particularités mentales. Ils passaient de longues semaines dans une retraite obstinée lorsqu'ils avaient un livre en gestation. Voilà ce qu'on peut lire, par exemple, en février 1800 54, dans le journal Le Journal des Goncourt, alors qu'ils sont en train d'écrire leur histoire de la société pendant la révolution.

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Je cite le journal toute la journée, nous dépouillant le papier révolutionnaire et la nuit. Nous écrivons notre livre Point de femme. Point de monde. Point de plaisir. Point d'amusement. Nous avons donné nos vieux habits noirs et n'en avons point fait faire d'autres pour être dans l'impossibilité d'aller quelque part une tension, un labeur continu de la cervelle et sans relâche afin de faire un peu d'exercice, de ne pas tomber malade. Nous ne nous permettons qu'une promenade après dîner, une promenade dans les ténèbres des boulevards extérieurs pour n'être point tirée par la distraction des yeux de notre travail, de notre renfoncement spirituel en notre œuvre.

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Franck Ferrand, c'est raté, christique. Cette œuvre, il l'écrive véritablement à deux, à quatre, à quatre mains, si je puis dire. Voici ce que, plus tard, Edmond de Goncourt écrira dans ses frères Gano. Il décrit les deux frères.

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Je le cite les deux frères ne s'aiment pas seulement. Ils tenaient l'un à l'autre par des liens mystérieux, des attaches psychiques, des atomes crochus de nature jumelles. Et cela, quoi qu'ils fussent, d'âges très différents et de caractères diamétralement opposés. Leur premier mouvement instinctif était. Éthiquement les mêmes, ils ressentaient des sympathies ou des antipathie pareillement soudaines et allaient ils quelque part? Ils sortaient de l'endroit, ayant sur les gens qu'ils y avaient vu une impression toute semblable.

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Cette espèce de gémellité extraordinaire va faire le mystère de ce journal dont on ne sait jamais s'il est écrit par l'un ou par l'autre. Même si, évidemment, assez tôt, à partir de 1870, le journal ne sera plus tenu que par Edmond, puisque Jules, à ce moment là, sera déjà mort. Un air de ballet, des scènes pittoresques de Jules Massenet.

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l'Orchestre symphonique de Nouvelle-Zélande était sous la direction de Jean-Yves au sens Franck Ferrand sur Radio Classique. Il ne faudrait pas les imaginer trop peureux, nos frères, nos frères Goncourt. C'est vrai qu'ils ont cette gémellité qui doit les aider dans la vie et en même temps, ils sont conscients de leur propres, de leurs propres limites. Voici ce qu'en avril 1864, au sortir d'un dîner qu'ils viennent de faire ensemble une fois de plus, voici ce qu'ils écrivent, nous qui, par le fait, ne sommes pas deux, nous qui souffrons en même temps des mêmes défaillances, des mêmes malaises, des mêmes maladies, nous ne sommes à nous deux qu'un isolé, un ennuyez maladif.

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À travers cela passe chez tous deux des velléités de distraction, des aspirations à l'amusement chez le vieux. Ces aspirations sont d'un homme lâche au plaisir chez le jeune, ce désir constant et le plus souvent refoulé d'un jeune homme qui a passé sa jeunesse sans plaisir. Mais chez tous les deux, cela est arrivé par manque d'initiative d'entre gens et même de courage à parler aux femmes. De l'amusement, de l'imagination aussi. Trouvons nous à la vie un goût de fadeur et dans l'ennui, de vivre un perpétuel écœurement.

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Ce perpétuel écœurement a été particulièrement bien décrit dans toutes les dents, toutes ces sous, tous ses aspects par Pierre Ménard dans son ouvrage Les infréquentables frères Goncourt. Sans cesse, les deux frères s'amusent de leur similarité d'esprit, nous dit il. Similarité qui, dans leur bouche et sous leur plume, se mue rapidement en dogme. Nous sommes tellement jumeaux en tout et par tous les bouts, avance t il, que nous avons jusqu'aux mêmes envies de femme grosse.

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Il nous est venu ce soir l'idée en même temps à tous deux de pisser sur un certain chou d'un jardin. Oui, c'est assez. Le moins qu'on puisse dire est qu'ils sont un peu particuliers, nos deux frères Goncourt. Alors Pierre Ménard analyse toute leur vie. Bien entendu, il les suit avec une sorte de distance amusée. Pas mal d'ironie. C'est très agréable et amusant à lire. Voilà ce qu'il nous raconte dans une période qui devient dangereuse parce qu'on s'approche.

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On s'approche du moment où Jules, à bout de nerfs, épuisé, atteint par la maladie neuvas, ne va bientôt plus pouvoir vivre et ne va plus pouvoir partager la vie de son frère Edmond le mercredi soir, nous raconte donc Pierre Ménard. Les cochers qui arpentent la rue de Courcelles accueillent dans leur berline deux malotrus rehaussés de leur chapeau haut de forme. À peine les ententes ont donné la destination. Si vous étiez l'un de ces cochers, sans doute pourriez vous, en tendant l'oreille et écouter les deux compères, passer en revue les potins de la soirée.

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Il est question ce soir d'une princesse Mathilde et d'un certain Théophile Gautier, dont il aurait fait son billet, dont elle aurait fait son bibliothécaire. En recevant la proposition, le dit, Gauthier aurait demandé aux deux clients blottis au fond de la voiture. Mais au fait, dites moi, est ce que la princesse a une bibliothèque? Un conseil entre nous? Gauthier? Faites comme si elle n'en avait pas. On suit ses frères Goncourt dans la réalisation de leur nouvel ouvrage À hennissement nous ramène à l'implacable réalité et nous dit un peu plus loin, Pierre Ménard franchissait la rue Saint-Lazare et vous voici rue Saint-Georges.

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C'est ici, rue Saint-Georges, sur le palier du quatrième étage du 43ème immeuble, que vos clients habitent. En réglant, c'est à peine s'il vous jette un oeil à tort. On ne se méfie jamais assez.

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Décochez et les frères Goncourt vont monter dans cet appartement qu'il partage, où il souffre de tous les bruits du voisinage. Jule, notamment, a beaucoup de mal avec le bruit. Oh, le bruit, le bruit, le bruit. Je ne peux plus supporter les oiseaux, dit il. J'en arrive à leur crier comme deux bureaux au Rossignol Veux tu te taire, vilaines bêtes? Voilà ce qu'il écrit à Flaubert pour fuir ce combat, nous dit Pierre Ménard.

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Les frères quittent donc autant que possible leur geôle jusqu'à trouver refuge dans le silence de la forêt de Fontainebleau. Ils vont même être ensuite installés pendant un temps au château de Saint-Gratien, chez la princesse Mathilde, qui veut bien leur offrir l'hospitalité jusqu'à ce qu'ils dénichent dans un temps une sorte de lotissement qui est en train de faire bâtir ce que font bâtir les frères Pereire. Le lotissement en question, c'est la Villa Morency, une villa absolument idéale qui correspond exactement à leurs souhaits et à leurs rêves.

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À défaut de correspondre à leurs moyens, elle est très au dessus de leurs moyens. Hélas, nous dit Ménard. À peine installés dans leur nouveau décor, les Goncourt découvrent avec amertume que les ennuis les ont suivis. La première nuit, leurs yeux sont à peine fermés que le cheval des voisins cogne furieusement contre leurs murs. Le jour, ce sont les cris des enfants, des voisins et bientôt, les grelots d'une famille histrion qui achèvent de briser leur mère à regret.

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Il leur faut donc régulièrement demander l'asile dans des chambres de commis voyageur à Passy ou dans le pavillon de la princesse Mathilde pour accoucher de leur prochaine grande oeuvre. Cette prochaine grande oeuvre, madame Gervaise, est ce sera la dernière qu'ils écriront ensemble. Ils pensent que ça va être. Chaque fois, le succès absolu ici donne entièrement Jule, notamment, peaufine le style de chaque phrase il passe le rabot, il polit chaque mot, il essaie de faire briller chaque formule.

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Ils sont convaincus d'avoir accouché d'un chef d'œuvre, un chef d'œuvre qui va très mal se tirer et se vendre puisque sur les 1500 exemplaires du tirage initial, à peine 300 vont s'écouler. Vous imaginez? C'est une véritable catastrophe. Qu'est ce qui fait que les Goncourt n'arrivent pas à séduire le public de leur temps? Mais peut être qu'ils ont une forte tendance aux néologismes qui déroute un peu le public. Voilà ce que nous dit Pierre Ménard. Avec eux, la femme n'est pas désespérée.

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Elle est en désespérance. Elle ne s'apprête pas. Elle se gracieuse. Et quand elle est contente, c'est qu'elle y jouit. Se déshabille t elle. Elle perd toute publicité. Insomnia est catastrophique. Ce sont des termes à eux quand ils ne sont pas Hollogne. Peu les hommes, du moins les plus coco Péru qui fuit à longueur de journée. On pourrait gloser sourcilleuse sur leur style patissier, s'étonner de leurs phrases krokodil esque, évoquer dégoûts, Taman, le chuchotement, le pardonnant, la cumulons, la désespéraient, la brillance de leurs effets.

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N'oublions pas quand même qu'un certain nombre des mots que nous employons aujourd'hui dans le vocabulaire quotidien des mots comme réécriture, mécanisation, déraillement, foultitude scatologique ou encore talentueux ont été inventés par les frères Goncourt.

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Laurence Equilbey dirigeait l'ensemble choral Accentus, c'est l'Orchestre national de France dans ce célèbre cantique de Jean Racine de Gabriel Fauré, Franck Ferrand sur Radio Classique.

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Évidemment que la maladie de Jules va complètement bouleverser cet équilibre au demeurant fragile qui, d'année en année, s'était perpétué entre Edmond et Jules. Et comprenons que l'état de Jules est désespéré, nous raconte Pierre Ménard, désireux d'alléger la souffrance de ce frère à qui l'on ne peut plus arracher que quatre mots à la fois et peut être égoïstement, la sienne. Edmond s'est décidé à mettre un terme au cauchemar. Les mots qu'il écrit ne sont cette fois pas destinés à la postérité.

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Pas même aux correspondants qu'il l'assaillent de questions, mais au commissaire de police. La résolution est prise, irrévocable. Il lui brûlera la cervelle et la sienne ensuite, lentement. L'aîné se dirige vers la chambre du malade, ce petit être fragile qui regarde le vide de ses paupières battantes avec une tristesse impossible. La tristesse que devaient avoir les hommes changer embêtent par les enchantements de l'Antiquité, écrit il. Mais au moment même de réaliser le crime, une dispute éclate pour un motif futile.

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L'assassin hors de lui saisit l'enfant de 39 ans par le collet et le lâche. Les yeux de Jules, si souvent absents, manifestent une telle expression de terreur que l'aîné renonce à son projet. Je me sentis au jamais et tout à fait incapable de le tuer, écrira t il à Flaubert. Il va falloir assister à l'agonie de Jules sans s'en l'eider, si l'on peut dire. Et puis, Jules finit par mourir. Dire que c'est fini à tout jamais, écrit Edmond Estpossible.

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Je ne l'aurai plus marchant à côté de moi. Quand je me promènerait, je ne l'aurai plus en face de moi. Quand je mangerais dans mon sommeil, je ne sentirai pas son sommeil dans la chambre d'à côté.

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Je n'aurai plus avec mes yeux, ses yeux pour voir les pays, les tableaux, la vie moderne, cette vie moderne qu'ils ont tant et tant décrite à travers notamment le roman, mais aussi, bien sûr, le journal qui rendait compte de la vie littéraire de leur temps.

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Et puis, ces tableaux qui constituent la collection de la collection Edmond de Goncourt, des tableaux du 18ème siècle français, leur véritable et grande passion Franck Ferrand, christiques Théophile Gautier est venu à l'enterrement de Jules.

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Bien entendu, il est accouru en toute hâte de Genève. Nous avons suivi à toutes les stations de la voie douloureuse ce pauvre Edmond qui, aveuglé de larmes, soutenue sous les bras par ses amis, butait à chaque pas comme si les pieds embarrassés dans un pli traînant du linceul fraternel, écrit il. Comme les condamnés qui se décomposent dans le trajet de la prison à l'échafaud d'Auteuil, au cimetière de Montmartre. Il avait pris vingt années. Ses cheveux avaient blanchi.

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On les voyait. Ce n'est pas une illusion de notre part. Plusieurs des assistants l'ont même remarqué. Nous l'avons. Nous les avons vus se décolorer et pas lire sur sa tête à mesure qu'on approchait du terme fatal de la petite porte basse où se dit l'éternel adieu.

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Il va falloir maintenant à Edmond trouver la force de vivre, de survivre à ce frère. Il va lui survivre bien longtemps. Jusqu'en 1896 et Tenures, tenir seul leur fameux journal. Un journal qui continuera d'être le journal des frères Goncourt, même s'il n'est plus que le journal de l'aîné. L'actuel oubli qui frappe les deux frères, nous dit Pierre Meynard, tient sans doute moins à l'œuvre elle même qu'à ses auteurs et à la fausse image que l'on se fait d'eux.

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Certes, on ferait difficilement de ces deux gangsters de la littérature des saints, mais précisément, nos mauvais instincts nous font éprouver davantage de plaisir à la lecture de la vie d'Al Capone qu'à celle du bénévole associatif. Gageons que les Goncourt eux mêmes avaient confié en conscience de leurs outrances et se plaisaient à se faire plus cruel qu'ils ne l'étaient réellement.

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Et certains d'entre vous sont peut être déjà en train de préparer le réveillon de la Saint-Sylvestre, de se demander quels seront les petits cadeaux. Vous savez, on glisse comme ça aux invités qui font toujours plaisir un à un. Il faut que vous vous procurer. Ça s'appelle une note légère. Ce sont de drôles d'histoire de la musique classique qui sont illustrées par un certain Christian Morin. Elles ont été collectées aussi. Ces histoires, c'est l'esprit, c'est la légèreté.

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C'est tout ce qu'on aime. C'est Christian Morin. Bonjour Christian. Que voulez vous que je réponde à ce genre de compliments et de gentillesse aussi? Non merci, vous, le très sincère. En revanche, si vous pouviez recommencer demain?