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9 heures 9 heures 30. Franck Ferrand raconte sur Radio. Il n'est pas si fréquent que paraissent des textes inédits de Stéphane Veg aussi. En parcourant La Chambre aux secrets, je me suis dit que les éditions Robert Laffont nous faisaient en quelque sorte un cadeau de Noël. En ce moment, nous en avons bien besoin de la finesse, de la culture et des éblouissements de Zweig. Les articles, les préfaces, les textes, les conférences aussi sont réunis sous ce titre.

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La Chambre aux secrets évoquent différents écrivains et penseurs. Il y a évidemment Balzac qui sera la grande affaire, en quelque sorte, de la fin de la vie de Zweig, mais aussi Baudelaire, Rimbaud, Stendhal, puis Renan, et puis Jaurès et même Edmond, jaloux des penseurs et des écrivains qui tous présentent un point commun ils sont français.

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Car il existe un lien essentiel, puissant, entre Stéphane Zweig, le biographe de Marie-Antoinette et de Fouché, et cette France qu'il n'aura cessé de fréquenter. C'est Robert Dumont, en 1967, qui avait déjà consacré un ouvrage entier à Stéphane Zweig. Et la France bien. Cinquante trois ans plus tard, c'est le titre même de l'introduction de ce passionnant ouvrage qui nous montre Stéphane Zweig, un Autrichien amoureux de la langue, de la pensée, de la culture française.

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Il faut dire qu'il avait consacré sa thèse à l'historien Hippolyte Taine et qu'ensuite, il a effectué en France des séjours dont on doit pouvoir dire qu'ils sont innombrables.

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Dès l'hiver 1904 1905, il passe six mois à Paris, où il loue un appartement au 5 de la rue Victor Massé, dans le quartier de Pigalle.

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On le voit fréquenter la Bibliothèque nationale, à la recherche notamment de sources pour ses travaux littéraires. Il noue à ce moment là des amitiés avec Georges Duhamel, avec Paul Valéry, André Gide, Roger Martin du Gard. C'est dans la capitale française qu'il va rencontrer aussi Raynor, Maria Rilke. Parmi les résidences parisiennes favorites du Viennois, il faut mentionner l'hôtel Beaujolais, près du Grand Véfour, au Palais royal. Mais Stéphane Zweig n'hésite pas à voyager un peu partout en France.

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On le voit en Bretagne, dans le nord de la France, en Bourgogne, sur les pas de Renan ou de Rimbaud. En 1930, il est à l'hôtel du Cap, au Cap d'Antibes en 1934. Alors là, c'est l'époque où il fuit le nazisme avec Lotte. En 1934, il s'installe pendant toute une période à l'hôtel Westminster de Nice et l'on sait que l'annonce de l'occupation de Paris par la Wehrmacht ne sera sûrement pas pour rien dans cette dépression qui devait le conduire au suicide en février 1942.

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Pourtant, bien évidemment, c'est à Vienne qu'était né Stefan Zweig, le 28 novembre 1880. Il était né dans une famille très aisée de la bourgeoisie viennoise, où l'on aimait justement le voyage. Le mélange des cultures. Son père, Mortis Veg, était un homme d'affaires juif qui avait fait une grande fortune dans le textile. Sa mère était d'une famille de banquiers. Les Tower. Bref, il était évidemment aux premières loges de cette extraordinaire efflorescence de talents de l'Europe de 1900 quand j'essaie de trouver pour l'époque qui a précédé la Première Guerre mondiale et dans laquelle j'ai été élevé.

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Une formule qui la résume, écrira t il dans Le Monde d'hier. Je me flatte de l'avoir le plus heureusement rencontré quand je dis c'était l'âge d'or de la sécurité.

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Il faut dire que l'Autriche, à l'époque, est un pays qui paraît éternel, sûre et solide comme l'est l'empereur François-Joseph. Tout dans ce vaste empire, écrira Zweig, demeurait inébranlable, ment à sa place et à la plus élevée, le vieil empereur. Et s'il venait à mourir, on savait qu'un autre lui succéderait et que rien ne changerait dans cet ordre sagement concerté. Personne ne croyait à la guerre, à des révolutions ou à des bouleversements. Toute transformation radicale, toute violence paraissait presque impossible dans cet âge de raison.

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Dans le même temps, Zweig, qui a été nourri de toutes les cultures, ne rêve que de voyager, de découvrir le monde. Il a véritablement une curiosité extraordinaire qui va l'amener à se déplacer et notamment à venir à Paris pour la première année de ma liberté conquise, écrira t il.

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Je m'étais promis Paris pour récompense. Je savais que qui y avait passé une année de sa jeunesse en emporté pour la vie? Un souvenir de félicité lorsque Zweig, mais pour la première fois les pieds à Paris, en 1902. Ce n'est pas encore le Paris tout à fait du métro et de l'automobile, mais plutôt celui des omnibus tiré par des chevaux. A l'époque, il a vingt ans. Il est immédiatement attiré par le Quartier latin, par son atmosphère.

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Une atmosphère à laquelle il est initié par ses lectures. Et son premier réflexe en arrivant à Paris, c'est de se rendre dès le premier soir au fameux café Vachette, à l'angle de la rue. École du boulevard Saint-Michel. Il demande au serveur de lui montrer la table à laquelle Paul Verlaine avait ses habitudes et il s'installe là.

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Il commande un verre d'absinthe, alors l'Absym ne lui plaît pas, mais il est heureux de pouvoir rendre hommage à cette figure de Verlaine qui va le chanter, sur laquelle il écrit un très beau, très beau texte. La vie de Paul Verlaine. Dans ce recueil, La chambre aux secrets, je cite bientôt, il parle de Verlaine. Il raconte sa vie. Il est une figure du Quartier latin, le vieil homme au visage de faune portant son chapeau de travers sur son crâne chauve et toujours accompagné d'une harde de parasites.

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Il boitte d'une jambe. Il se traîne, claudiquant, de café en café, toujours escorté de son essaim de putains, de gens, de lettres et d'étudiants. Avec chacun sa table à chacun, il vend volontiers pour 20 francs une dédicace dans son prochain recueil, chacun moyennant une absente et son ami. Il raconte qu'au moment de la mort de Leconte de Lisle, je cite Des jeunes gens organisent une manifestation littéraire pour choisir un nouveau roi à une formidable majorité.

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C'est Verlaine qui était le prince des poètes du Quartier latin, mi roi, mi bouffon. Il arbore fièrement cette distinction nouvelle. Il songe même un instant à se présenter à l'Académie. Mais ses amis interviennent juste à temps pour le détourner de cette malencontreuse chimère. Alors, il reste là bas, sur le boul. Mich. Auprès de cette jeunesse qui le vénère et le rail. En même temps, il s'attarde de moins en moins dans les cafés, de plus en plus à l'hôpital et avec beaucoup de lucidité.

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Stéphane nous montre à quel point, à ce moment là, Verlaine est en fait délaissé par toute la haute société, toutes les lettres françaises et d'un coup, dit il, au moment où il meurt. La phrase de Zweig est terrible. Il dit il meurt comme un gueux dans le lit étranger d'une pute et d'un coup dit ils sont tous là de nouveau, les vieux amis de la littérature, ceux qui se détournent si peu, heureusement, lorsqu'ils croisaient d'ivrognes sur le boulevard.

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D'un coup, ils sont tous là, les gens dignes, les poètes installés, les messieurs de l'Académie. On échange des allocutions enflammées et sous les fleurs, les couronnes et les paroles, s'évanouit la pauvre dépouille de cet être enfantin, fragile et torturée. Il ne se fait pas d'illusions sur ce qu'est véritablement Paris. Bien entendu, il connaît Paris, Stéphane Zweig. Il sait à quel point cette ville est versatile et à quel point l'hypocrisie est partout. Mais en même temps, la liberté aussi.

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Je le cite à Paris, point de contrainte. Il était permis de parler, de penser, de rire, de gronder. Chacun vivait comme il lui plaisait, sociable ou solitaire, prodigue ou économe dans la lune ou la bohème. Il ajoute On allait, ont causé, on couchait avec celui ou celle qui vous plaisait et l'on se souciait des autres autant qu'un poisson d'une pomme. Il fallait avoir connu Berlin pour bien s'éprendre de Paris.

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Restaurants au Bois de Boulogne, c'est le titre de cette quatrième suite Paris de Jacques Ibert, l'Orchestre de la Suisse romande était sous la direction de Niemeyer, RVI, Franck Ferrand, Radu Christiques.

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A l'époque, bien sûr, notre Stéphane Zweig entretient une relation avec l'Autrichienne Frederika, mais ça ne l'empêche pas de vivre d'autres aventures. Dès qu'il est à Paris, il appelle ça ses épisodes. Et un de ses épisodes les plus importants, c'est celui avec la jeune Française Marcelle, très jolie. Elle travaille dans le milieu de la mode. Elle se glisse régulièrement la nuit dans sa chambre de l'hôtel Beaujolais et Stéphane écrit en 1913, en mars 13 dans son journal.

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Elle est insatiable.

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Le soir, avec Marcel, je me repose de tout intellectualisme dans le jeu violent des corps et jusqu'à l'épuisement. Ils sortent dans les musicos, lui s'amusent, ils boivent beaucoup. Et un soir de mars 1913, après une soirée arrosée, Marcel lui dit que son rêve, ce serait d'avoir un enfant avec lui. Stéphane est heureux. Il ressent cet instant comme un moment profond de son existence. Un de ces moments qui émaillent une œuvre faite justement d'une collection de moments ambigus, trouble et en même temps puissant, immense.

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Ils vont même aller jusqu'à choisir un prénom pour l'enfant, Octave.

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Sauf qu'au lendemain matin, alors qu'il a dégriser si je puis dire, il n'est plus dans le même état d'esprit, Stéphane Zweig. Il va retrouver sa lucidité. Il ne veut pas être responsable d'un enfant. Alors, Marcel devra avorter six semaines plus tard. Au fur et à mesure de ses visites à Paris, entre ses nombreux voyages, il délaisse progressivement le Quartier latin pour résider du côté du Luxembourg, puis au Palais royal.

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Il va d'ailleurs dénicher un petit hôtel dont les fenêtres donnent sur les fameux jardins. Mais disons le pour autant, il ne s'ancrent jamais définitivement à Paris puisqu'il continue de voyager partout en Europe, mais aussi en Amérique, en Inde, etc.

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Mais il revient néanmoins à Paris, Paris, où il va faire une rencontre décisive, celle de Romain Rolland.

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Là, on peut parler d'un véritable coup de foudre amical et intellectuel. Romain Rolland est normalien, agrégé d'histoire, passionné de musique et de littérature. Il gagne sa vie en écrivant, alors que Stéphane Zweig, lui, n'est encore qu'un jeune homme. Il ne pas. Il n'a pas encore 30 ans. Romain Rolland a vingt ans de plus. Et surtout, Romain Rolland. Quelque chose, un petit peu d'un vieillard est l'a toujours un peu presque bossu, blanc comme un linge.

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Stéphane Veg adore lui rendre visite. Dans sa petite chambre, près du boulevard du Montparnasse, un appartement d'une seule pièce sombre sous les toits, où Romain Rolland vit seul avec ses livres et son piano. Il y passe des heures assis devant sa table, une couverture sur les genoux. Et que fait il? Roland est bien, il écrit. Il écrit toujours avec d'Ira dans cette pièce, quelque chose de monacal.

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Mais on sent à la foule des lettres des journaux que le monde entier afflue ici en un centre ouvert à tous.

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Voilà ce que j'ouvre le recueil La chambre aux secrets, qui est paru disais chez Robert Laffont.

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Je l'ouvre dans sept à une page où il est question, justement, de Romain-Rolland, dans une sorte de tribu qui s'appelle. Merci à Romain Rolland à chacune de nos rencontres, raconte Stéphane Smeg. Je me sens en même temps comblé et confus. Chaque fois que je regarde sa vie de tous les jours, il me semble de nouveau inconcevable que tant de choses puissent coexister dans le cadre étroit d'une seule existence. Le travail avant tout, l'incessante activité de l'esprit qui, paraît il, est intarissable, où le seau descend puis remonte suivant un cycle ininterrompu de 20 heures.

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Ensuite, cette curiosité intellectuelle qui embrasse cinq continents, toutes les époques, tous les espaces qui jamais ne se lassent et qui, d'un regard clairvoyant et lumineux, brassent ce qu'il y a de plus caché. Et puis, l'amitié attentionnée et délicate qui pressens la moindre occasion de faire plaisir au moment où l'on s'y attend le moins, clairvoyante elle aussi, mais bienveillante dans sa manière de considérer les petits défauts de son prochain. Enfin, cette droiture inébranlable qui vient toujours adoucir la bonté de cette manière de déceler en permanence chaque faute, mais sans jugement ni indignation, et par dessus tout, et intrinsèque à tout cela.

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La passion, cette passion perpétuelle qu'il met à s'intéresser à tout et à chacun, aux choses et aux êtres, et à cet invisible qui unit et entoure celles et ceux là, la musique, dit il. Stéphane Bègue va partager avec Romain Rolland de plus en plus la conviction du pacifisme. Et à la veille de la Grande guerre de la Première Guerre mondiale, Romain Rolland Roland explique à son ami autrichien qu'il pense que l'avenir de la paix se trouve précisément dans l'avenir de l'Europe, dans une amitié franco allemande.

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Ce pacifisme, il va se heurter à la guerre. Mais rien, rien ne viendra limiter cette amitié extraordinaire entre Stefan Zweig et Romain Rolland. Stefan Zweig, qui nous dit que cette amitié avec Roland est pour lui, je le cite comme une colombe blanche sortie de l'Arche de la Bestiales. Hurlante. L'incomparable Sanson François, accompagné par l'orchestre de la Société des concerts du Conservatoire, sous la baguette d'André que lui interprétait ce deuxième mouvement, un Adagio assaillies du Concerto pour piano en sol de Maurice Ravel.

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Franck Ferrand sur Radio Classique. Alors, évidemment, après la Grande Guerre, les séjours parisiens de Stéphane Zofingue vont prendre une tonalité un peu différente. Il dit notamment qu'à chaque fois que maintenant, les Français entendent parler allemand, il sursaute. Il y a de l'hostilité dans l'air d'ailleurs lui même en 22, alors qu'il est au Louvre. Il écrit à Frédéric qu'il a eu des larmes. Il a senti les larmes aux yeux. En tout cas, elle a pensé qu'une bombe prussienne aurait pu, au moment de l'assaut sur Paris, détruire.

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C'était l'époque de la Grosse Bertha aurait pu détruire tous ces tous ces chefs d'œuvre. Il est devenu une véritable gloire littéraire à ce moment là. Stéphane Zweig. Bien entendu, il va faire un certain nombre de deux séjours un peu plus calmes. Dix ans. Disons le, si certains de ses amis sont devenus communistes, c'est le cas de près ou de loin de Romain Rolland. D'ailleurs, Zweig, lui, va toujours se dire apolitique, même s'il demeure jusqu'au bout parfaitement pacifiste.

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En novembre 1931, il fête ses 50 ans. Il est un auteur devenu alors là, vraiment célébré dans l'Europe entière et même au delà. Et alors que deux ans plus tard, Hitler va arriver au pouvoir en Allemagne, Zweig, qui a grandi dans cet âge d'or de la sécurité, dans ce monde stable et immuable, serein, optimiste, se veg va devoir. Il le sent déjà, il le pressens voir s'effondrer cette Europe qu'il aime tant. Et évidemment, lorsqu'il reviendra en France, je vous ai parlé de ces jours sur la Côte d'Azur.

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Ce sera avec beaucoup plus de douleur. Il est passionné par Balzac comme il l'a toujours été. Et la grande affaire, la grande œuvre de sa vie, ça doit être le Balzac, un Balzac qu'il n'aura pas le temps d'achever avant de se suicider. Il en aura fait le squelette et la première partie, ce Balzac aurait dû être sans doute la grande œuvre de sa vie et en même temps, peut être, la prise de conscience par l'auteur lui même des limites de son propre talent par rapport à ce qu'il considère comme le génie universel de Balzac.

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Les derniers mots, je les laisse à Bertrand d'Ermont court qui a préparé cette belle édition chez Robert Laffont. Ce livre jubilatoire, je le cite à notre époque où les hiérarchies sont bousculées, où la notion même de grand art est contestée ou la fin des références induit une certaine perte de sens. La vision de Zweig, puisant à la source du classicisme européen, a de quoi rasséréner. Guidé par l'idée de partage et de transmission, Zweig propose à l'admiration de ses lecteurs des bâtisseurs exemplaires.

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C'est ainsi que curiosité, profondeur et élégance règnent constamment dans ces pages imprégnées d'une culture communicative.

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Nous avons parlé d'amitié ce matin et bien voici Christian Morin, bonjour Christian, c'est très gentil.

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Quel accueil! Merci mon cher Franck. Bonjour. La seule inélégance, je dirais de Stéphane Zweig, c'est d'être parti beaucoup trop tôt par peur de ce qui pouvait arriver, ce qui est arrivé, hélas, avec le nazisme. J'ai un souvenir d'un texte bouleversant. Parmi les nombreux textes de sphaignes, ces lettres d'une inconnue qui a été portée au cinéma et qui était un écrivain formidable. Alors vous, lhistorien, je pense que vous recommanderai. Bien sûr, en dehors du livre de Bertrand d'Ermont court les livres consacrés à Marie-Antoinette, notamment Biographie Fondiaria, Boucher.

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Extraordinaire et extraordinaire. Merci beaucoup, mon cher Franck. Je vous souhaite une très bonne journée. Si vous allez du côté de Saint-Germain-des-Prés, vous penserez à Zweig. Et puis, en revenant, faites un crochet pour revenir à Radio-Classique demain matin.