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[00:00:02]

La seconde, c'est Christophe Hondelatte. Voici le récit absolument exceptionnel d'un carambolage survenu en 2002 sur l'autoroute A10, à la hauteur de Poitiers. Un carambolage qui a impliqué quarante huit voitures et dix poids lourds et fait 8 morts. Un récit à travers les yeux du médecin légiste Michel Panées, appelé sur place pour identifier les victimes. Je le tire de son livre disponible chez Pocket. Chronique d'un médecin légiste. Le docteur Satanées sera là tout à l'heure. J'ai écrit cette histoire avec Nicolas Loupian réalisation Céline le bras.

[00:00:43]

Christophe Hondelatte. Un carambolage géant est survenu ce matin sur l'autoroute A10, à la hauteur de Poitiers. La collision en chaîne s'est produite vers 9 heures et demie à la hauteur de la sortie Poitier Sud, sur l'autoroute dans le sens Bordeaux-Paris. Elle impliquerait une trentaine de véhicules, dont plusieurs poids lourds, selon un bilan encore provisoire. L'accident aurait fait six morts, six blessés graves et une trentaine de blessés légers.

[00:01:16]

Le 5 novembre 2002, en milieu de matinée, la surveillante du service reçoit un appel du SAMU. Ils réclament la présence d'un légiste sur place pour l'identification des cadavres. Elle m'appelle. Je ne suis pas à l'hôpital. Le temps d'arriver. Ma secrétaire Sophie m'a préparé tout le matériel. Un docteur, vous voilà? Bon, c'est bon, j'ai tout. On y va. Nous y allons tous les deux dans une voiture avec gyrophares de l'hôpital. C'est le seul moyen de franchir les bouchons et les barrages.

[00:01:55]

Quand j'arrive sur place, je découvre un incroyable amas de ferraille éparpillés sur plus de quatre cents mètres. Ici, un camion calciné, là deux voitures encastrées complètement brûlées et là, un amas informe de voitures noircies et fumantes sous l'effet de l'impact. Elles ont déformé le rail de sécurité. Et puis, il y a un camion citerne qui a laissé échapper sa cargaison. Attention, docteur, vous risquez de vous geler les pieds. On a déjà deux pompiers blessés.

[00:02:26]

Là, c'était un camion d'azote liquide. L'azote a complètement gelé l'endroit. Le sol est recouvert d'une épaisse couche de glace et de suie mélangée. Et maintenant, il faut compter les morts et les identifier. J'en ai déjà repéré deux dans deux voitures près de la bande d'arrêt d'urgence et deux autres un peu plus loin. Mais les gendarmes pensent qu'il y en a d'autres dans l'amas de tôle contre le rail.

[00:02:56]

Docteur, vous voilà content de vous voir? Le procureur de la République en costume anthracite et chaussures. Bien brillant, les trois docteurs. Quand est ce que vous pourrez me donner les identités des victimes? Parce que figurez vous que j'ai vu un inspecteur d'académie là dedans. Du coup, j'ai une grosse pression, monsieur le procureur. Vous savez bien que je travaille sous la pression. La pression, c'est mauvais, ça fait faire des erreurs et il n'y a rien de pire que des erreurs de corps.

[00:03:30]

Je pense pas que vous vouliez des identités, n'est ce pas? Non, docteur, c'est pas compliqué. Dans la voiture d'un inspecteur d'académie, l'inspecteur obéit à son chauffeur. C'est le chauffeur qui conduit. L'inspecteur est un côté. Tout ça, ça sert en principe. Mais qui vous dit que pour une fois, ce n'est pas un inspecteur qui a pris le volant ou qui sont partis? Je sais pas, moi, avec un collaborateur, ou vous voulez pas que je mette le corps du chauffeur dans le cercueil de l'inspecteur d'académie?

[00:03:57]

N'est ce pas un monsieur le procureur? Non. Non, bien sûr, docteur. Faut tout de même, monsieur le procureur, vous voulez un résultat scientifique parce que sinon, on peut tirer au sort. Ça ira plus vite, c'est sûr. Bon, je préfère la première solution, docteur. Eh bien, moi aussi, je vous promets qu'on fera le plus vite possible et je compte sur vous pour me mettre à l'abri des pressions à traiter en priorité.

[00:04:24]

L'inspecteur d'académie, tout de même. Personne ne sait où il est s'il entre le camion citerne et le porte char. Est ce qu'on va même les retrouver, votre inspecteur d'académie? Bon, d'accord, docteur, j'ai compris. Je vous laisse travailler. C'est la meilleure solution, monsieur le procureur.

[00:04:43]

Et maintenant, il ne reste plus qu'à s'atteler à la tâche. Je me présente au poste de commandement mobile de la gendarmerie. Bonjour, je vous fais un break rapide. D'abord, vous devez savoir qu'ici, sur le terrain, vous travaillez sous notre autorité. Nous avons des protocoles, mais pas de problème. Un colonel? Pas de problème, en revanche, pour les autopsies et les identifications à l'hôpital. l'Autorité, c'est moi. Ça s'appelle marquer son territoire.

[00:05:27]

Les gendarmes ont donné un numéro à chaque véhicule accidenté et les corps à l'intérieur sont identifiés par des lettres. Pour le conducteur, mais pour le passager avant, c'est aider pour d'éventuels passagers à l'arrière. Et pour chaque véhicule, il y a une équipe, c'est à dire un légiste. On m'annonce du renfort de la région parisienne. Un dentiste, un secrétaire qui prend des notes. Un photographe qui prend des photos. Et de tamisés, chargé de trier les sons.

[00:05:58]

Un corps carbonisé a tendance à partir en petits morceaux. Ce qui nous intéresse surtout, ce sont les dents qui ont pu tomber.

[00:06:12]

On commence par la voiture numéro 7, monsieur le procureur.

[00:06:17]

On a besoin de découper l'épave pour sortir le corps, soit docteur. C'est très ennuyeux. Les experts automobiles seront à l'avant avant ce soir. Je ne veux pas qu'on touche au départ avant leur constatation. Là bas, vous allez les attendre longtemps. Alors, vos identités? Ecoutez ce que je vous propose. On prend des photos du véhicule avant, mais comme ça, les experts pourront se faire une idée. Bon, d'accord, de cœur dans la voiture, ils ont deux 2 places avant, côté conducteur.

[00:06:49]

Fanum la paroi de son thorax et son abdomen ont disparu et du coup, on voit ses organes, le foie, les intestins, les poumons qui sont cuits sur le siège passager. C'est une femme, c'est clavicules et ses humérus sont apparents. Les deux corps sont entièrement gris noir. C'est la preuve d'une combustion à très haute température. Les pompiers découpent le toit. Ensuite, je mets des sacs transparents sur chacune des têtes. Ça, c'est pour éviter de perdre les dents.

[00:07:23]

Les pompiers commencent par retirer le corps du conducteur sans trop de difficulté. Sauf que les deux jambes s'arrêtent aux chevilles. Les pieds sont restés soudés sur le plancher. Il faut donc les récupérer et les mettre avec le reste dans la housse numéro 7. Ensuite, les pompiers mettent la passagère dans la housse numéro 7. Et puis, les gendarmes Tamisez passent à l'action avec de gros tamis qu'ils viennent d'aller acheter au Castorama, juste à côté de.

[00:08:04]

Comme des renforts viennent d'arriver. Je décide de rentrer au jus avec mes deux premiers clients pour préparer la suite. J'ai réussi à persuader le procureur de centraliser tous les corps à l'hôpital et donc il faut que j'organise tout ça et notamment le passage des corps à la radio dans le courant de cette nuit pour que tout soit prêt pour les autopsies demain.

[00:08:25]

A peine arrivé, je vais voir le responsable de crise de l'hôpital. Alors, de quoi est ce que vous avez besoin n'opte pour vous aurez tout ce qu'il vous faut. Il me faut d'abord une équipe de manipulateurs radio pour toute la nuit avec une salle de radio. Il me faut un ascenseur bloqué pour le transfert des Cadart et puis des équipes d'autopsie. Les lignes téléphoniques aussi pour les recherches d'identification. Il nous faut une ligne de fax bas. De quoi nourrir tout ce petit monde.

[00:09:00]

Il dit oui à tout. Et après, j'y retourne avec ma propre voiture, ma Laguna. Je suis de retour sur le site vers 20 heures. Les pompiers ont déployé un éclairage mobile. On y voit comme en plein jour. Entre temps, mes collègues ont sorti quatre autres corps des véhicules les plus accessibles, mais toujours pas de trace de l'inspecteur d'académie. Il doit être dans cet enchevêtrement de camions et de voitures compressées. Des engins de levage viennent d'arriver.

[00:09:32]

Ils peuvent passer à l'action. Le camion citerne qui transportait l'azote et dégagé le premier est là apparaît. La voiture de l'inspecteur d'académie. Elle a été prise en sandwich. Elle a été compacté dans un espace qui fait moins d'un mètre. Les gens avant et les jantes arrière se touchent. Les pompiers mettent 20 minutes avec un vérins hydrauliques à déplier la carcasse. Et là, je vois apparaître deux formes. À première vue, deux corps qu'il faut donc récupérer.

[00:10:10]

Et donc, on se met à ramasser tout ce qu'on trouve. Sans trop savoir de quoi il s'agit. Si c'est mon bras, c'est que c'est humain. Là, par exemple, je pense que c'est un bassin et le tout est placé dans des housses numérotées.

[00:10:31]

Il est deux heures du matin, huit corps en tout ont été sortis des décombres. Il reste à leur donner un nom et ce sera le travail de demain. En rentrant à la maison, j'ai besoin de m'enlever l'odeur de brûlé que j'ai dans la bouche. Alors je m'ouvre une petite terrine de chevreuil et ensuite je prends une douche et deux shampoings plus tard, je sombre dans un sommeil. Son rêve?

[00:11:20]

Le lendemain, le réveil sonne tôt et je retrouve mes collègues légistes et dentistes à l'hôpital, deux salles d'autopsie nous attend.

[00:11:33]

Les gendarmes n'ont pas chômé. Ils ont réussi à dresser la liste des quarante huit voitures et des dix poids lourds impliqués dans l'accident.

[00:11:41]

Parfois, grâce au seul numéro de moteur, ils ont aussi appelé les familles et fait la liste de ceux qui n'ont pas donné signe de vie. Et à côté, ils ont listé des éléments de reconnaissance comme la taille d'anciennes fractures, les bijoux. Et ils ont déjà récupéré chez quelques dentistes les dossiers dentaires.

[00:12:10]

Cela dit, mettre un nom sur ces restes n'est pas le seul but de l'autopsie. Il y a aussi l'enquête judiciaire et le procureur vient de le rappeler. Lui dont aucun. Lors de ces autopsies, vous avez prévu des analyses d'alcoolémie et de drogue. J'en ai absolument besoin pour établir les responsabilités. Oui, oui, c'est prévu, monsieur le procureur. Et je vais demander d'ailleurs également qu'on dauge le monoxyde de carbone. Bah quel intérêt, docteur? On sait de quoi ils sont morts.

[00:12:41]

Ça sera utile. Vous savez, quand les familles vont nous demander est ce qu'il ou elle a des morts brûlés vifs ou des choses comme ça, vous voyez? Car une rumeur dit que la veille, quand ils sont arrivés, les pompiers ont vu des gens hurlant, dont les flammes. Un docteur? Vous pourriez peut être commencer par l'inspecteur d'académie. Écoutez, monsieur le procureur, je préfère vous donner toutes les identités d'un coup, ça sera sans doute dans le courant de la nuit.

[00:13:17]

Dans chaque salle, le protocole a été affiché. L'autopsie doit s'intéresser au cou et aux poumons. A la recherche de traces de suie qui prouverait que la victime respirait ou ne respirait pas, nous n'en trouverons que dans un seul cas et encore à très faible dose. Ils n'ont pas brûlé vif. Ensuite, on cherche d'éventuelles traces de lésions traumatiques qui pourraient être liées au décès. Et puis, le dentiste récupère les maxillaires. Il les fait radiographier pour repérer les traitements des canons.

[00:13:50]

Et au soir de ce deuxième jour, je peux enfin rendre les premières conclusions au procureur. Bon, monsieur le procureur, toutes les victimes sont mortes dans les instants qui ont suivi le choc un écrasement du thorax. Fracture du crâne, rupture de l'aorte, etc. Arrachement d'une jambe même s'il n'y avait pas eu l'incendie. Je pense qu'aucune victime n'aurait survécu. Et vers 21 heures, on s'attaque à la question des identifications. Borgers, une première victime qui porte des traces d'une intervention chirurgicale sur la vessie, qui présente également une arthrose vertébrale.

[00:14:30]

Donc c'est un sujet forcément âgé pour lequel j'ai un bridge de trois dents sur la maxime lèvre supérieure droite et sur lequel on a retrouvé une Rolex et une alliance en or. Est ce que ça colle avec l'un des dossiers que vous avez, messieurs les gendarmes? Alors bah ouais, ouais, ouais, ouais, ouais, ouais, j'ai un homme âgé opéré de la prostate. La Rolex est un cadeau de son fils. Donc ouais, tout correspond.

[00:15:09]

Au final, un seul corps pose problème, celui d'un homme jeune sur lequel on a trouvé une fille dans le genou. En face, on a bien un disparu qui a eu un problème de genou, mais sans plus de détails. Et malheureusement, pas de radio. Et donc, on a un doute. Mais il portait une petite croix. Il avait une chevalière à ses initiales et donc c'est bon. Il est 23 heures. On les a tous identifiés.

[00:15:46]

Et ensuite, il y a débat. l'Hôpital a pensé installer une chapelle ardente, une chapelle ardente. M'enfin, monsieur le procureur, vous pensez que c'est une bonne idée de mettre comme ça côte à côte les familles des coupables et celles des victimes parce qu'il y a un coupable dans cet accident? Vous avez raison, docteur, vous avez raison. Et donc, il va falloir qu'on aille voir les familles une par une.

[00:16:21]

Le procureur est rentré chez lui. Mais pour nous, pour nous tous qui sommes sur le pont depuis 48 heures maintenant, côte à côte, main dans la main, impossible de se quitter comme ça. On doit évacuer, évacuer ensemble toute cette tension accumulée et donc un gendarme fait une proposition. Et si on allait boire un verre ensemble en ville, ça vous dit ça? C'est ça, ouais, on va tous débarquer avec les voitures et des gyrophares au bistrot et on va les Garrigou.

[00:16:54]

Et si vous veniez tous à la maison à Bougez pas, je préviens ma femme Delphine. Bourseiller On a fini, dit on. On voudrait boire un verre ensemble et je l'aurais proposé à tous de venir à la maison et ils sont bien élevés. Tu verras, c'est des gendarmes.

[00:17:20]

Et nous voilà à deux heures du matin dans la ferme où je vis et les gendarmes qui saluent ma femme en claquant des talons au 15e. Elle éclate de rire. Le feu crépite dans la cheminée. Je sors les armagnacs, les cognacs, les vieux whisky et on bavarde comme ça jusqu'à 3 heures du matin.

[00:17:50]

Le troisième jour, les légistes parisiens sont partis et nous nous retrouvons en petit comité pour accueillir les familles. Petit comité, c'est à dire le procureur. Mon ami chirurgien dentiste, son fils, un secrétaire, un gendarme et moi, avec en parallèle une cellule d'aide médico psychologique. Sur une table derrière nous, on a posé toutes les pièces, les schémas des autopsies, les radiographies et les scellés des objets retrouvés sur les corps et dans les voitures. Le procureur a prévu de parler d'abord à chacune des délégations familiales.

[00:18:27]

Et ensuite, je répondrai à leurs questions, à l'exception bien sûr des données sur l'enquête en cours ou. On a listé par avance les questions qui vont nous poser. De quoi est il mort? Est ce qu'il a souffert? Est ce que vous êtes sûr que c'est lui? Et puis, est ce qu'on peut voir le corps? Et ça, c'est le plus dur à expliquer. Leur faire comprendre que ce n'est pas possible, comme c'est trop dur, que c'est horrible.

[00:18:58]

Moi, je crois que le mieux dans ce cas là, c'est de leur montrer une photo de la voiture. Et éventuellement, un ou deux objets calcinés. Et puis, c'est un site, vraiment, faudra leur montrer les schémas d'autopsie pour qu'ils réalisent quoi? Les schémas d'autopsie sont des silhouettes dessinées sur lesquelles on a reporté en noir les parties manquantes du corps et en hachuré les parties carbonisées. Je suis désolé, docteur. Je. Néanmoins, voir mon frère.

[00:19:40]

C'est le seul à l'avoir demandé, alors je lui sors les radios, je les place sur le gâteau scope et je lui montre.

[00:19:49]

Je lui montre des clichés sur lequel figurent toutes les parties du corps qu'on a pu rassembler. Quand j'allume la lumière du Nagato Scob et que la radio apparaît, le garçon marque un mouvement de recul la tête, le haut du tronc avec les bras, le haut du bassin et un genou qui va d'une moitié de cuisse à une demi jean.

[00:20:11]

Rien au dessus, rien au dessous. Mon rejet compris, docteur. J'ai compris, c'est pas la peine. Personne, finalement, n'a demandé l'ouverture des housses mortuaires et nous, chacun notre tour, on a dû sortir, prendre l'air tant de larmes, tant de chagrin, tant de demandes impossibles. Ça ne nous laisse pas intact. On est guéri, pourtant, mais ça a été dur. Cette journée éprouvante est presque terminée quand le procureur me prend à part.

[00:21:11]

Du docteur. Je suis un peu ennuyé. J'ai là une dame qui vient pour l'une des victimes, qui voudrait Lhoir et avoir des informations. Et on a déjà fait l'accueil de sa femme ce matin. Sa maîtresse? Je m'en occupe, monsieur le procureur. Je vais m'en occuper, je vais la recevoir. D'où, au passage, la nécessité de bien recouper les identifications. Enfin, imaginez que ce soit la maîtresse qui était assise dans la voiture au moment de l'accident.

[00:21:52]

On ne peut pas se contenter de dire elle est assise à côté de monsieur Untel, donc c'est madame Hinton. C'est pour ça qu'on fait des identifications recoupaient. C'est pour ça qu'on y passe tant de temps.

[00:22:12]

J'ai tiré cette histoire de livre du docteur Michel Sapin, né chronique d'un médecin légiste paru chez Pocket.

[00:22:19]

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