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9 heures 9 heures 30. Franck Ferrand raconte sur Radio Classique. Un jour de fête gâchée par la pluie, le vendredi 3 juillet 1953 à Strasbourg, toute sorte de curieux sont là qui veulent assister au coup d'envoi du 40ème Tour de France, une édition qui marque le 50ème anniversaire de la Grande Boucle. Il y a des jeunes femmes qui portent la tenue alsacienne traditionnelle, bien entendu, des hommes et des enfants qui portent des cirés à capuche parce qu'il pleut vraiment.

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Beaucoup d'autres sont montées sur les statues pour essayer de voir les coureurs dans la pluie. Cette année, ils sont 119 coureurs sur la ligne de départ, répartis en douze formations, sept équipes nationales et cinq équipes régionales. Oui, c'était comme ça. C'est pendant cette petite période là, dans les années 50. On fonctionnait de cette manière. Tous ne vont pas arriver au terme des 22 étapes à Paris le 26 juillet ou au vélodrome du Parc des Princes.

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Mais comme disait Coubertin, l'essentiel, c'est de participer. Le grand favori de cette édition, c'est Louison Bobet, la star de l'équipe de France. C'est sa sixième participation. Sous sa casquette, il affiche un large sourire, une décontraction que les journalistes, les photographes et les spectateurs vont saisir, bien entendu, et qu'on retrouvera bien sûr dans les actualités cinématographiques. Un petit peu plus loin, un coureur de 23 ans qui, lui, ne suscite pas du tout la même attention.

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Et pour cause, il était inconnu à l'époque. Il est mince, il a les cheveux blonds coiffés en arrière. Il s'appelle André André Darrigade. Il porte le numéro 114. Il fait partie d'une des équipes régionales, celle du Sud-Ouest, à l'exception de Jean Robic en 47. Les coureurs faisant partie d'une équipe régionale n'ont pas l'habitude de gagner le Tour de France. Ils peuvent espérer tout au plus décrocher une ou deux victoires d'étape.

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Mais pour Darrigade, être au départ de ce Tour, c'est déjà incroyable. Il est là à vous imaginer, aux côtés des Français Bobet, Robic, aux côtés de Jimmy Niani, de l'Italien Magni, etc. Après un départ retardé à cause de la pluie, les autorités de la Ville, les autorités de Strasbourg vont couper le ruban et à onze heures et quart, sous les vivats et les applaudissements. Le peloton s'élance pour la première étape 195 kilomètres jusqu'à Metz.

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Darrigade découvre l'ambiance incroyable du Tour. Les encouragements du public partout le long des routes. Un public qui va rapidement adopter Darrigade, faire de lui un de ses coureurs préférés. On lui donne un surnom Le lévrier des Landes Franck Ferrand, si tu christiques.

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C'est à l'âge de 9 ans qu'André Darrigade a commencé à pratiquer le cyclisme après avoir reçu un vélo des mains de son oncle qui le lui avait offert en 2008. Il se souvenait André Darrigade dans une interview avec votre vélo, disait il dès la fin du catéchisme. Le dimanche, j'allais sur les parcours des courses du coin. Je regardais passer les premiers et je sautais dans la roue des coureurs lâchés. Je les accompagnait jusqu'au vélodrome de Dax. Un an plus tard, Darrigade voit pour la première fois passer le Tour de France.

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Il faut dire qu'il traverse carrément son village natal de Narrows, pas loin de Dax. Il était né là en 1929. Le petit garçon est fasciné, bien sûr, par les coureurs, les sprints, etc. Mais il ne parle pas à ses parents de sa passion pour le cyclisme. Ses parents sont métayers, si bien que lorsqu'il obtient sa première licence d'amateur de quatrième catégorie à 18 ans au sein de l'Union cycliste dacquoise, elle est faite au nom de son père.

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La licence en question, au nom de Joseph Darrigade, va remporter plusieurs courses régionales sur piste et sur route. Sa licence va passer bientôt en première catégorie en 49 à Paris, au Vélodrome d'Hiver. C'est la grande finale d'une épreuve de vitesse réservée aux amateurs la médaille. Et il bat le futur champion du monde de sprint. Qui est Antonio Spetz à l'époque. Darrigade, à son premier article dans Sud-Ouest, qui voit en lui un futur champion. Peut être tenons nous avec lui un routier sprinter de classe nationale et nous souhaitons que les espoirs qu'il fait naître ne soient pas que de simples promesses, écrit le journaliste avec un style un peu alambiqué.

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Il faut bien le dire, malheureusement. l'Union sportive dacquoise peut craindre de perdre Darrigade, car il doit être incorporé prochainement à Paris, où il retiendra quelques grands clubs de la capitale. Et bien oui. Après avoir été appelé sous les drapeaux pour effectuer son service militaire, il est d'ailleurs champion militaire de vitesse à Paris. Darrigade va devenir professionnel et rejoindre l'équipe La Perle Hutchinson. Ses victoires dans plusieurs courses régionales lui permettent de gagner sa place dans l'équipe du Sud-Ouest.

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À ce Tour de France 53 pour cette première participation, on peut dire que Darrigade ne va pas faire de la figuration. Il est vainqueur de la douzième étape entre Luchon et Albi. Il termine à une honorable 37e place. Au Tour de France n'est pas. Il s'est fait un nom, il va intégrer l'équipe de France et le 26 juin 55, après avoir terminé l'année précédente à la quarante neuvième place du Tour de France sans victoire d'étape en cinquante quatre, Darrigade va concourir aux championnats de France sur route à Châteaudun, en Bretagne, pour se préparer au mieux à cette compétition.

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Il s'est entraîné avec les frères Jean et Louison Bobet. On ne pouvait pas trouver mieux lors de la course. C'est justement Louison Bobet qui propose un arrangement à Jacques Anquetil, à vingt kilomètres de l'arrivée, pour éliminer tous les autres concurrents. Sauf que Anquetil est un ami de Darrigade et il court dans la même équipe. Anquetil refuse la proposition de Bobet et décroche du peloton. Il laisse Darrigade revenir dans le groupe de tête. André va se lancer sur les derniers mètres dans un sprint incroyable.

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La lutte avec Bobet et finalement Darrigade l'emporte de peu face à Bobet, qui est furieux et qui va d'ailleurs déposer une réclamation, n'accepte pas la défaite. En tout cas, il ne l'acceptera que lorsque son frère Jean essaiera de le raisonner. Tu regardes un peu, tu vois ou quoi, Louison? Lui dit il. Avec ton maillot de champion du monde sur le dos, tu vas chipoter pour un maillot de champion de France.

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Quelques jours plus tard, Darrigade retrouve les frères Bobet au départ du Havre pour le Tour de France. Il remporte l'étape entre Colmar et Zurich. Il se frotte pour la première fois au terrible mont Ventoux et il finit, comme l'année précédente, à la quarante neuvième place Darrigade. Déçu, bien entendu, mais il ne faut pas regarder en arrière. Lui se projette déjà dans l'édition 56 et le 5 juillet 1956 à Liège. 7 le maillot jaune qu'il va enfiler et celles qui l'aident à enfiler son maillot jaune.

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C'est une accordéoniste que vous connaissez bien puisque c'était Yvette Horner.

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Cette Yvette Horner qui interprétait cet arrangement pour l'accordéon du célèbre coucou de Louis-Claude Daquin. Franck Ferrand sur Radio Classique. C'est la première fois, ce 5 juillet 56, que Darrigade a enfilé le maillot jaune. Il vient de gagner la première étape, partie de Reince, longue de 223 km. Un gros bouquet de fleurs dans les bras. Il prend le temps de répondre aux questions des journalistes. Il savoure sa victoire, bien entendu. Certains disent qu'il pourrait même gagner ce Tour de France.

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Léon Le Calvez, le directeur de l'équipe de l'ouest du Tour de France, en est certain. Darrigade est dans une condition extraordinaire, dit il. Il sort les hommes de la roue sans même s'en apercevoir. Je suis sûr qu'il montera à l'école mieux qu'on ne le croit et j'estime qu'il serait capable de gagner le Tour cette année. Et c'est vrai qu'il est en grande forme. Ce Darrigade au terme de la onzième étape entre Bayonne et Pau, il est toujours maillot jaune, également maillot vert, puisqu'il domine le classement par points.

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Le patron du Tour de l'époque, Jacques Godet, écrit Un champion comme Darrigade convoitant la victoire finale, a subi une pleine transformation. Ce non grimpeur a gravi l'Aubisque avec la facilité de sa classe, avec sa forme et avec tout son coeur. Le résultat est qu'il est resté dans le sillage immédiat des super grimpeurs et qu'il a compensé sans difficulté son retard dans la descente. Bien qu'il rétrograde en sixième position à l'issue de l'étape suivante, Darrigade n'a qu'une minute trente de retard sur le nouveau leader au classement général.

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Le Belge Adriaenssens et Darrigade est tout près de reprendre le maillot jaune lors de l'étape entre Luchon et Toulouse. C'est Christian Laborde, vous savez, qui nous fait revivre toute l'épopée de Darrigade dans une belle biographie qui vient de paraître aux Éditions du Rocher, à sept kilomètres de l'arrivée, raconte Christian Laborde. Darrigade, le seul coureur de l'équipe de France en mesure de remporter l'étape. Crèves s'arrête. Derrière lui, il n'y a pas Marcel Bidot, le directeur technique de l'équipe de France.

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Il n'y a pas non plus de chevaux de dépannage. Il n'y a rien. Il n'y a personne derrière André, mais qui est à côté de lui dans l'échappée. Il y a deux coureurs de l'équipe de France, Jean Forestier et René Privat, mais ni Privat ni Forestier, à sept kilomètres de l'arrivée, ne s'arrêtent pour donner leur roue à Darrigade et permettre ainsi à l'équipe de France de remporter une victoire d'étape et de rester au général dans le sillage du maillot jaune.

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Privat et Forestier continuent, laissant Darrigade en carafe et le laissant furieux. Cela va de soi. De rage, il va jeter sa roue crevée dans le pare brise de la voiture du directeur technique de l'équipe de France lorsque ce dernier finit par arriver. Darrigade ne refera pas son retard. Il finira seizième au classement général et devra se consoler avec un prix de combativité remis pour la première fois à l'arrivée du Tour au Parc des Princes. Prix de la combativité?

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Malgré cette déception qui lui laisse quand même un goût amer. Et aujourd'hui encore, quand il en parle, André Darrigade est amère de cette affaire. Il va se consoler avec une victoire de prestige sur le Tour de Lombardie, qu'il gagne au sprint à Milan devant un certain Fausto Coppi.

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Dans une interview, toujours la même interview de 2008, Darrigade revient sur cette victoire. J'étais gêné de le battre, dit il. C'était un ami. Il m'avait fait venir dans l'équipe labio qui, en disant à ses employeurs que j'allais gagner Milan-San Remo. Il ne pensait jamais que j'allais le battre au Tour de Lombardie. Le quotidien La Gazzetta dello Sport écrit Le destin de copies se nomme Darrigade. Palmarès de Darrigade en 57 58. C'est pas mal. Vainqueur de nombreuses courses, notamment les Six jours de Paris à deux reprises, il est deux fois médaillé de bronze aux Championnats du monde sur route sur le Tour de France.

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Il remporte 9 étapes et le maillot jaune pendant six étapes. En revanche, c'est sur le Tour 58 qu'il gardera le pire souvenir de sa carrière lors de l'arrivée à Paris. Il va de plein fouet percuter le jardinier du Parc des Princes, qui mourra quelques jours plus tard des suites de cet accident. Totalement, que voulez vous, c'est ça, c'est le destin. Avec une victoire sur le Critérium national, la saison 59 commence néanmoins sur les chapeaux de roue.

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Si je puis dire, pour un André Darrigade qui vise maintenant plusieurs titres. Tout Ganso qui dirigeait l'Orchestre national du Capitole de Toulouse.

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Dans cette ouverture festive de Chostakovitch, Franck Ferrand sur Radio Classique. Tour de France 1959 Darrigade remporte la première étape entre Mulhouse MS, c'est la quatrième fois d'affilée qu'il remporte la première étape de l'épreuve. Il remporte aussi une autre étape. Il est maillot jaune deux journées et va s'imposer au classement par points. Il est donc ce qu'on appelle le maillot vert, le Tour de France à peine terminé malgré une blessure au genou après une chute lors d'un critérium. Quelques jours plus tôt, Darrigade, le 16 août 59, est sur la ligne de départ du Championnat du monde sur route de Zandt, forte en moto aux Pays-Bas.

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Là haut, la piste qui, d'habitude réservée aux voitures, a été préparée. Mais elle est plate, lisse. La course s'annonce donc relativement ennuyeuse. Mais dès le 7e tour, Darrigade entame l'un de ses sprints qui vont faire sa renommée. Une telle attaque, nous dit Christian Laborde, amorçaient de si loin, est suicidaire. Mais c'est tout sauf un suicide. Juste le coup d'éclat, la belle audace d'un routier sprinter routier d'abord. André, il l'a montré à moult reprises durant le Tour, est un adepte du raid de la baston sur le grand braquet.

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Un spécialiste de l'échappée matinale infernale qui va tout au bout. Un routier flingueur, un routier puissant et routier guerrier. Un guerrier jamais fatigué qui, la ligne approchant, redevient aussitôt un sprinter époustouflant et un gicleur furieux à quatre cents mètres de la ligne d'arrivée. Ils sont encore quatre, dont Darrigade, à pouvoir s'imposer à Sismondi, qui attaque et s'échappe. Mais Darrigade, dans les tout derniers mètres de la course, va accélérer à son tour et il arrive à hauteur de gisements, dit il.

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Lui passe devant. Darrigade va franchir la ligne d'arrivée. Il est champion du monde sur route, le quatrième Français à avoir été couronné dans cette catégorie. Jean Bobet s'exclame après cette belle victoire de Darrigade Réjouissons nous que cet athlète soit doublé d'un gentilhomme, d'un garçon attachant et autorisons nous a versé une petite larme au soir d'une victoire qui fait plaisir aux techniciens, aux esthètes et aux sentimentaux. A 30 ans, André Darrigade est au sommet d'une carrière qui, pour autant, n'est pas terminée.

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Franck Ferrand Tu Christiques 1960. Il est médaillé d'argent aux Championnats du monde sur route l'année suivante. Maillot vert. Après avoir gagné quatre étapes sur le Tour de France entre 62 et 64, il remporte encore quatre étapes et le maillot jaune à quatre reprises le 14 juillet 66. André Darrigade dispute la dernière étape de sa carrière sur la Grande Boucle, une partie entre Orléans et Rambouillet, et puis un contre la montre jusqu'à Paris. Il va retrouver là son vieux complice Jacques Anquetil, qui a abandonné à la dix neuvième étape et fait également ses adieux au Tour de France.

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Peut être que tous deux se remémorent leur premier Tour de France ensemble, 9 ans plus tôt, la veille du départ à Nantes. Ils avaient été dans un restaurant, ils avaient commandé des fruits de mer et bu du vin blanc. Et Darrigade avait tellement mangé qu'ils avaient eu mal au foie pendant plusieurs jours. Ce qui, lorsqu'on fait le Tour de France, évidemment, n'est pas idéal. Le 9 octobre 1966, à 37 ans, Darrigade met un terme à sa carrière en compétition à l'issue de la course mythique Paris-Tours.

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Il entame sa reconversion, mais pas dans le cyclisme, puisqu'il va devenir dépositaire de presse sur le bassin d'Arcachon. Puis ensuite, il va s'installer à Biarritz. Son épouse Françoise s'occupe de la Maison de la presse pendant que lui se charge de la diffusion des journaux sur toute une partie du Pays basque. Tout ça jusqu'à sa retraite. Aujourd'hui, monsieur Darrigade qui nous écoute peut être. Et si c'est le cas, nous le saluons très chaleureusement. À 91 ans, il vit à Biarritz, toujours avec 14 participations au Tour de France, tout autant que Raymond Poulidor.

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Il est devenu Poulidor, qui était un de ses amis. Bien sûr, André Darrigade a remporté 22 victoires d'étape. Il a porté sur ses épaules le maillot jaune 19 fois et a fini avec le maillot vert à deux reprises.

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Et voici notre régional de l'étape à nous, c'est Christian Maurin. Bonjour Christian.

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C'est le cas de le dire. Mais enfin, vous savez, Franck Ferrand a plus d'un tour dans son sac, si j'ose dire. Et quatre ans, il vous parle de l'histoire. Il ne fait jamais ce genre, c'est le moins que l'on puisse dire que je sais. Merci d'en parler d'André Darrigade, que j'ai eu le plaisir de rencontrer. Souvent, quand je vais à Biarritz, je fais un petit clin d'œil à son épouse Françoise. Le temps de La Presse, c'est à côté du Casino Biarritz.

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Mais il faut rappeler aussi que cet homme a quand même gagné 22 étapes sur le Tour 1959 incroyant. Et il a porté le maillot jaune durant dix neuf étapes. C'est extraordinaire. C'est un homme délicieux. Merci de l'avoir fait organise bientôt un petit voyage à Biarritz. Ce sera peut être l'occasion d'aller lui dire bonjour. Ecoutez, si vous me le permettez, je vous accompagne volontiers. Merci. Bon pour cet après midi. On vous retrouve lundi et end.